Gladio
: Les armées secrètes de l'OTAN (III)
Par
Daniele Ganser
Historien
suisse, spécialiste des relations internationales contemporaines. Il
est enseignant à l'Université de Bâle.
Pourquoi
l'OTAN, la CIA et le MI6 continuent de nier
par
Daniele Ganser*
Alors
que l'existence du gouvernement de l'ombre institué par les
États-Unis et le Royaume-Uni dans l'ensemble des États alliés est
attestée par des enquêtes judiciaires et parlementaires
dans les années 80-90, l'OTAN, la CIA et le MI6 continuent à nier.
C'est que Washington et Londres n'y voient pas un épisode
historique, mais un dispositif actuel (comme l'a montré
l'affaire des enlèvements en Europe et des vols secrets durant l'ère
Bush). Les armées secrètes de l'OTAN
sont toujours couvertes par le secret-Défense, parce qu'elles sont
toujours actives.
Avant
même sa prise de fonction (le 2 juillet 2009) comme nouveau
commandeur suprême de l'OTAN (SACEUR), l'amiral James G. Stavridis
s'est discrètement rendu au SHAPE pour rencontrer les chefs des
réseaux stay-behind.
Au
moment des découvertes sur le réseau Gladio en 1990, l’OTAN, la
plus grande alliance militaire du monde, regroupait 16 nations :
l’Allemagne, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, la
France, la Grèce, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la
Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Turquie et
les États-Unis, ces derniers assumant un rôle de commandement.
L’Alliance réagit confusément aux révélations du Premier
ministre italien Andreotti et craignit pour son image lorsque les
armées stay-behind furent associées à des attentats, des actes de
torture, des coups d’États et d’autres opérations terroristes
perpétrés dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest.
Le
lundi 5 novembre 1990, après un long silence de près d’un mois,
l’OTAN nia catégoriquement les allégations d’Andreotti
concernant son implication dans l’Opération Gladio et ses liens
avec les armées secrètes. Le principal porte-parole de
l’Organisation, Jean Marcotta, affirma depuis le quartier général
du SHAPE, à Mons, en Belgique, que : « L’OTAN n’a jamais
envisagé de recourir à la guérilla ou à des opérations
clandestines ; elle s’est toujours occupée de questions
exclusivement militaires et de la défense des frontières des pays
Alliés [1]. » Puis, le mardi 6 novembre, un autre
porte-parole expliqua que le démenti de la veille était faux.
Il ne fournit aux journalistes qu’un bref communiqué précisant
que l’OTAN ne commentait jamais les questions couvertes par le
secret militaire et que Marcotta aurait dû observer le silence [2].
La presse internationale critiqua amèrement ces cafouillages dans la
stratégie de relations publiques de l’alliance militaire : «
Pendant que de véritables séismes frappent le continent entier, un
porte-parole de l’OTAN apporte un démenti : on ignore tout de
Gladio et des réseaux stay-behind. Et voici qu’un communiqué
laconique vient ensuite démentir le démenti "incorrect"
et rien de plus [3] ».
Tandis
que la crédibilité de l’OTAN s’ébranlait, les journaux
titraient « Une unité clandestine de l’OTAN "soupçonnée de
liens avec le terrorisme" » [4]. « Un réseau secret de l’OTAN
accusé de subversion : La Commission a découvert que Gladio,
le bras armé clandestin de l’OTAN en Italie, était devenu un
repaire de fascistes combattant le communisme au moyen d’attentats
terroristes visant à justifier un durcissement des lois. »
[5] « La bombe qui a explosé à Bologne provenait d’une unité de
l’OTAN » [6]. Un diplomate de l’OTAN, qui insista pour conserver
l’anonymat, justifia devant des journalistes : « Puisqu’il
s’agit d’une organisation secrète, je ne m’attends pas à ce
que les réponses abondent, même si la Guerre froide est terminée.
S’il y a eu des liens avec des organisations terroristes, ce genre
d’informations doit être enterré très profondément. Si ce n’est
pas le cas, qu’y a-t-il de mal à préparer le terrain pour la
résistance pour le cas où les Soviétiques attaqueraient ? » [7]
Selon
la presse espagnole, immédiatement après le fiasco de l’opération
de communication des 5 et 6 novembre, le secrétaire général de
l’OTAN Manfred Wörner convoqua les ambassadeurs de l’Alliance
Atlantique pour une réunion d’information à huis clos sur Gladio,
le 7 novembre. Le « Supreme Headquarters Allied Powers Europe
ou SHAPE, l’organe de commandement de l’appareil militaire de
l’OTAN, coordonnait les actions de Gladio, c’est ce qu’a révélé
le secrétaire général Manfred Wörner pendant un entretien avec
les ambassadeurs des 16 nations alliées de l’OTAN »,
put-on lire dans la presse espagnole. « Wörner aurait demandé du
temps pour mener une enquête afin de découvrir les raisons du
démenti formel » rendu public la veille par l’OTAN. « C’est ce
qu’il aurait annoncé aux ambassadeurs du Conseil Atlantique réunis
le 7 novembre, si l’on en croit certaines sources. » L’officier
le plus haut placé de l’OTAN en Europe, le général états-unien
John Galvin, avait confirmé que les allégations de la presse
étaient en grande partie fondées, mais que le secret devait être
gardé. « Au cours de cette réunion à huis clos, le secrétaire
général de l’OTAN a précisé que les gradés interrogés, (il
faisait référence au général John Galvin, commandant en chef des
forces alliées en Europe), avaient indiqué que le SHARP coordonnait
les opérations menées par Gladio. Dorénavant, la politique
de l’OTAN sera de refuser tout commentaire sur les secrets
officiels. » [8]
Selon
des sources qui ont souhaité conserver l’anonymat, le Bureau de
Sécurité de l’OTAN aurait été directement impliqué dans
l’Opération Gladio [9]. Hébergé au quartier général de l’OTAN
à Bruxelles, le mystérieux Bureau de Sécurité fait partie
intégrante de l’OTAN depuis la création de l’Alliance en 1949.
Sa mission consiste à coordonner, superviser et appliquer les
politiques de sécurité de l’OTAN. Le directeur de la Sécurité
est le principal conseiller du secrétaire général pour les
questions de sécurité ; il dirige le Service de Sécurité du
quartier général et est responsable de la coordination générale
de la sécurité au sein de l’OTAN. Mais surtout, il est le
président du Comité de Sécurité de l’Alliance qui réunit
régulièrement les chefs des Services de Sécurité des pays membres
pour discuter des questions d’espionnage, de terrorisme, de
subversion et d’autres menaces, parmi lesquelles le communisme en
Europe de l’Ouest, qui pourraient représenter un danger pour
l’OTAN.
En
Allemagne, le chercheur Erich Schmidt Eenboom rapporta que les
patrons des services secrets de plusieurs pays d’Europe
occidentale, et notamment de l’Espagne, de la France, de la
Belgique, de l’Italie, de la Norvège, du Luxembourg et du
Royaume-Uni, s’étaient réunis plusieurs fois à la fin de l’année
1990, et ce, afin d’élaborer une stratégie de
désinformation pour contrer les nombreuses révélations sur Gladio
[10]. Ces réunions se déroulèrent vraisemblablement au
très secret Bureau de Sécurité. « Le fait que les structures
clandestines de Gladio aient été coordonnées par un comité de
sécurité international composé uniquement de représentants des
services secrets », remarque le quotidien portugais Expresso, «
pose un autre problème : celui de la souveraineté nationale de
chacun des États ». Durant la Guerre froide, certains services de
renseignement agissaient hors de tout cadre démocratique. «
Il semble que plusieurs gouvernements européens aient perdu le
contrôle de leurs services secrets » tandis que l’OTAN
entretenait, elle, des liens très étroits avec les services secrets
militaires de chacun des États membres. « Il paraît évident que
l’OTAN applique un principe de confiance restreinte. Selon cette
doctrine, certains gouvernements ne luttant pas assez activement
contre le communisme, il est donc inutile de les informer des
activités de l’armée secrète de l’OTAN. » [11].
Sous
le titre « Manfred Wörner raconte le Gladio », la presse
portugaise publia des détails supplémentaires sur la réunion du 7
novembre. « Le secrétaire général de l’OTAN, l’Allemand
Manfred Wörner a expliqué aux ambassadeurs des 16 pays alliés de
l’OTAN la fonction du réseau secret - qui fut créé dans
les années cinquante afin d’organiser la résistance dans
l’éventualité d’une invasion soviétique. » Derrière des
portes closes, « Wörner a confirmé que le commandement militaire
des forces alliées, le Supreme Headquarters Allied Powers Europe
(SHAPE), coordonne les activités du 'Réseau Gladio', mis sur pied
par les services secrets des différents pays de l’OTAN, par
l’intermédiaire d’un comité créé en 1952 et actuellement
présidé par le général Raymond Van Calster, chef des
services secrets militaires belges », on apprit plus tard qu’il
s’agissait de l’ACC. D’après le journal, « la structure a été
bâtie en Italie avant 1947, puis des réseaux similaires ont été
créés en France, en Belgique, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au
Luxembourg, au Danemark, en Norvège et en Grèce ». « Le
secrétaire général a également reconnu que le SHAPE avait fourni
de "fausses informations" en niant l’existence d’un tel
réseau secret, mais il a refusé de s’expliquer sur les
nombreuses contradictions dans lesquelles les différents
gouvernements s’étaient englués en confirmant ou niant la réalité
des réseaux Gladio dans leurs pays respectifs ». [12]
Au
milieu de la tourmente, la presse tenta à plusieurs reprises
d’obtenir une explication ou, ne serait-ce qu’un commentaire, de
la plus haute autorité civile de l’OTAN, le secrétaire général
de l’OTAN Manfred Wörner. Mais, conformément à la politique de
l’Alliance qui consistait à ne pas se prononcer sur les secrets
militaires, Wörner rejeta toutes les demandes d’interviews [13].
Le terme « secrets militaires » focalisa l’attention des
journalistes qui se mirent en quête d’anciens responsables de
l’OTAN à la retraite susceptibles de s’exprimer plus librement
sur toute l’affaire. Joseph Luns, un ancien diplomate de 79 ans,
qui avait occupé les fonctions de secrétaire général de l’OTAN
de 1971 à 1984 accorda un entretien téléphonique à des reporters
depuis son appartement de Bruxelles. Il prétendit n’avoir jamais
été informé de l’existence du réseau secret jusqu’à ce qu’il
l’ait récemment lue dans la presse : « Je n’en ai jamais
entendu parler et pourtant j’ai exercé quelques responsabilités
au sein de l’OTAN ». Luns admit toutefois avoir été briefé «
ponctuellement » à l’occasion d’opérations spéciales et
estima « peu probable mais pas impossible » que Gladio ait pu
exister à son insu [14].
«
Le seul organisme international qui ait jamais fonctionné, c’est
l’OTAN, tout simplement parce qu’il s’agit d’une alliance
militaire et que nous étions aux commandes », répondit un
jour le président états-unien Richard Nixon [15]. Il faisait
remarquer à juste titre que, bien que l’OTAN ait son siège
européen en Belgique, son véritable quartier général se trouve
au Pentagone, à Washington. Depuis la création de l’Alliance
Atlantique, le commandant en chef de la zone Europe, le SACEUR
(Supreme Allied Commander Europe), exerçant ses fonctions depuis son
quartier général, le SHAPE, établi à Casteau, en Belgique, avait
toujours été un général états-unien. Les Européens
pouvaient, quant à eux, nommer le plus haut responsable civil, le
secrétaire général. Mais depuis la nomination du général Dwight
Eisenhower comme premier SACEUR, la plus haute fonction militaire
en Europe fut systématiquement occupée par des officiers
états-uniens [16]
Officier
de la CIA à la retraite, Thomas Polgar confirma, après la
découverte des armées secrètes d’Europe de l’Ouest, que
celles-ci étaient coordonnées par « une sorte de groupe de
planification de guerre non conventionnelle » lié à l’OTAN
[17]. Ses propos furent confirmés par la presse allemande qui
souligna que, durant toute la période de la Guerre froide, ce
département secret de l’OTAN était demeuré sous domination
états-unienne. « Les missions des armées secrètes sont
coordonnées par la 'Section des Forces Spéciales', située dans une
aile du quartier général de l’OTAN à Casteau placée sous haute
surveillance », relata un journal allemand. « Une porte grise en
acier qui s’ouvre comme un coffre-fort de banque et protégée par
une combinaison chiffrée, défend l’accès à toute personne non
autorisée. Les officiers des autres départements, qui sont invités
à y entrer, doivent dès l’entrée se présenter à un guichet
sombre où ils sont contrôlés. La Section des Forces
Spéciales est dirigée par des officiers britanniques ou
états-uniens exclusivement et la plupart des documents qui y
circulent portent l’inscription 'American eyes only' (À
l’intention du personnel US uniquement) » [18].
Pour
contrer l’influence des partis communistes dans certains pays
d’Europe de l’Ouest, l’OTAN s’était livrée, dès sa
création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à une guerre
secrète non conventionnelle. D’après les découvertes de
l’enquête parlementaire belge sur Gladio, cette lutte aurait même
été engagée avant la fondation de l’Alliance, et coordonnée dès
1948 par le "Clandestine Committee of the Western Union"
(CCWU), le Comité Clandestin de l’Union Occidentale. Selon
la presse, toutes les « nations [participant à Gladio] étaient
membres du CCWU et assistaient régulièrement à des réunions par
l’intermédiaire d’un représentant de leurs services secrets.
Ceux-ci étaient généralement en contact direct avec les structures
stay-behind » [19].
Quand,
en 1949, fut signé le Traité de l’Atlantique Nord, le CCWU fut
secrètement intégré au nouvel appareil militaire international et
opéra à partir de 1951 sous la nouvelle appellation CPC. À cette
époque, le quartier général européen de l’OTAN était situé en
France et le CPC avait son siège à Paris. Comme le CCWU avant lui,
le Comité assurait la planification, la préparation et la direction
des opérations de guerre non conventionnelle menées par les armées
stay-behind et les Forces Spéciales. Seuls les officiers disposant
des autorisations de niveau supérieur étaient autorisés à
pénétrer au siège du CPC où, sous la surveillance des experts de
la CIA et du MI6, les chefs des services secrets des États d’Europe
occidentale se réunissaient plusieurs fois dans l’année afin de
coordonner les opérations de guerre clandestine menées dans tout
l’Ouest du continent.
Lorsqu’en
1966 le président de la République Française Charles de
Gaulle chassa l’OTAN de France, le quartier général européen de
l’Alliance militaire dut, à la colère du président des
États-Unis Lyndon Johnson, déménager de Paris à Bruxelles.
Dans le plus grand secret, le CPC s’installa lui aussi en Belgique,
comme le révéla l’enquête sur le Gladio belge [20]. L’expulsion
historique de l’OTAN du territoire français offrit alors un
premier véritable aperçu des noirs secrets de l’Alliance
militaire. Pour le spécialiste des opérations secrètes Philip
Willan : « L’existence de protocoles secrets de l’OTAN
impliquant les services secrets des pays signataires et visant à
éviter l’accession au pouvoir par les communistes fut divulguée
pour la première fois en 1966, quand le président de Gaulle décida
de se retirer du commandement conjoint de l’OTAN et dénonça
ces protocoles comme une atteinte à la souveraineté nationale »
[21].
Si
les documents originaux des protocoles anticommunistes secrets de
l’OTAN demeurent confidentiels, les spéculations sur leur contenu
ne cessèrent de se multiplier suite à la découverte des armées
secrètes stay-behind. Dans un article consacré à Gladio, le
journaliste américain Arthur Rowse écrivit qu’une « clause
secrète du traité initial de l’OTAN de 1949 stipulait que tout
pays candidat à l’adhésion devait avoir établi au préalable une
autorité de Sécurité nationale chargée d’encadrer la lutte
contre le communisme par des groupes clandestins de citoyens » [22].
Un spécialiste italien des services secrets et des opérations
clandestines, Giuseppe de Lutiis, découvrit qu’au moment
d’intégrer l’OTAN en 1949, l’Italie signa, outre le Pacte
Atlantique, une série de protocoles secrets prévoyant la création
d’une organisation non officielle « chargée de garantir
l’alignement de la politique intérieure italienne sur celle du
bloc de l’Ouest par tous les moyens nécessaires, même si la
population devait manifester une inclination divergente » [23].
L’historien italien spécialiste du Gladio Mario Coglitore
a également confirmé l’existence de ces protocoles secrets de
l’OTAN [24]. Suite aux révélations de 1990, un ancien officier du
renseignement de l’OTAN, qui veilla à conserver l’anonymat, alla
jusqu’à affirmer que ces documents protégeaient explicitement les
membres de l’extrême droite jugés utiles dans la lutte contre les
communistes. Le président des États-Unis Truman et le
chancelier allemand Adenauer auraient « signé un protocole secret
lors de l’adhésion de la RFA à l’OTAN en 1955, dans lequel il
était convenu que les autorités de l’Allemagne de l’Ouest
s’abstiendraient d’entamer des poursuites à l’encontre des
extrémistes de droite reconnus » [25].
Le
général italien Paolo Inzerilli, qui commanda le Gladio dans son
pays de 1974 à 1986, souligna que les « Américains
omniprésents » contrôlaient le CPC secret qui était en charge de
la coordination de la guerre clandestine. Selon lui, le
Comité avait été fondé « sur ordre du commandant en chef de
l’OTAN en Europe. Il constituait l’intermédiaire entre le SHAPE,
le quartier général des puissances alliées d’Europe, et les
services secrets des États membres pour les question de guerre non
conventionnelle » [26]. Les États-Unis contrôlaient le CPC avec
leurs vassaux britanniques et français et constituaient avec eux une
"Commission Exécutive" au sein du Comité. « Les réunions
se succédaient au rythme d’une ou deux par an au quartier général
du CPC, à Bruxelles, et les questions à l’ordre du jour étaient
débattues entre la 'Commission Exécutive' et les responsables
militaires », témoigna Inzirelli [27].
«
La coordination des actions de notre réseau stay-behind avec celles
des structures clandestines analogues en Europe était assurée par
le CPC, le Coordination and Planning Committee [Comité de
Planification et de Coordination] du SHAPE, le quartier général des
puissances alliées d’Europe », décrivit le général
italien Gerardo Serravalle. Prédécesseur du général Inzirelli, il
avait commandé le Gladio en Italie entre 1971 et 1974 ; il
raconta que « pendant les années soixante-dix, les membres du CPC
étaient les officiers responsables des structures secrètes de la
Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne, de la Belgique, du
Luxembourg, des Pays-Bas et de l’Italie. Ces représentants
des réseaux clandestins se réunissaient chaque année dans l’une
des capitales européennes » [28]. Des hauts responsables de la CIA
assistaient à chacune de ces réunions. « Des représentants de la
CIA étaient toujours présents aux réunions des armées stay-behind
», se souvient Serravalle. « Ils appartenaient à l’antenne
de l’Agence de la capitale où se déroulait la réunion et ne
participaient pas aux votes » [[Ibid., p.79. ]]. « La 'Directive
SHAPE' faisait office de référence officielle, si ce n’est de
doctrine pour les réseaux stay-behind alliés », explique
Serravalle dans son livre consacré à Gladio. Il précise également
que les enregistrements du CPC, qu’il a pu consulter mais qui
demeurent confidentiels, « portent [surtout] sur l’entraînement
des Gladiateurs en Europe, sur comment les réveiller depuis le
quartier général secret en cas d’occupation de l’ensemble
du territoire national et sur d’autres questions techniques telles
que, pour citer la plus importante, l’unification des
différents systèmes de communication entre les bases stay-behind »
[29].
Parallèlement
au CPC, un second poste de commandement secret fonctionnant comme un
quartier général stay-behind fut créé par l’OTAN au début des
années cinquante sous le nom d’ACC. Comme le CPC, l’ACC était
en lien direct avec le SACEUR, lui-même sous contrôle états-unien.
D’après les conclusions de l’enquête belge sur Gladio, l’ACC
aurait été créé en 1957 et chargé de « la coordination des
réseaux 'stay-behind' en Belgique, au Danemark, en France, en
Allemagne, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Norvège, au
Royaume-Uni et aux USA ». Selon le rapport d’enquête
belge, en temps de paix, les fonctions de l’ACC « comprenaient
l’élaboration de directives à l’intention du réseau, le
développement de ses capacités secrètes et l’établissement de
bases au Royaume-Uni et aux USA. Dans le cas d’une guerre, il était
censé préparer des actions stay-behind conjointement avec le SHAPE
; de là, les organisateurs devaient alors activer les bases
clandestines et préparer les opérations » [30].
Le
commandant du Gladio italien Inzirelli affirme que « les relations
au sein de l’ACC étaient totalement différentes » de celles
existant au CPC. « L’atmosphère [y] était clairement plus
décontractée et amicale qu’au CPC. » L’ACC, fondé sur « un
ordre express du SACEUR au CPC » serait « devenue une ramification
» de celui-ci [31]. Il semble que cet organisme ait servi surtout de
forum où l’on se partageait le savoir-faire Gladio entre patrons
de services secrets : « L’ACC était un comité essentiellement
technique, un forum où l’on pouvait à loisir échanger des
informations et des expériences, évoquer les moyens disponibles ou
à l’étude, partager ses connaissances sur les réseaux, etc... »
Le général Inzerilli se souvient : « C’était un échange
de bons procédés. Chacun savait que s’il lui manquait un expert
en explosifs, en télécommunication ou en répression pour une
opération, il pouvait sans problème s’adresser à un confrère
étranger puisque les agents avaient reçu le même entraînement et
utilisaient le même type de matériel » [32].
Les
transmetteurs radio baptisés Harpoon figuraient notamment dans
l’équipement de tous les membres de l’ACC. Ils avaient été
conçus et fabriqués sur ordre du comité de direction de Gladio, au
milieu des années 1980, par la firme allemande AEG Telefunken pour
un montant total de 130 millions de marks, en remplacement d’un
ancien système de communication devenu obsolète. Le système
Harpoon était capable d’émettre et de recevoir des messages radio
cryptés sur une distance de 6 000 km et permettaient donc les
communications entre les réseaux stay-behind situés de part et
d’autre de l’Atlantique. « Le seul équipement qu’ont
en commun tous les membres de l’ACC est le fameux transmetteur
radio Harpoon », révéla Van Ussel, un membre du Gladio belge qui
s’en était lui-même servi au cours des années 1980, alors qu’il
était un membre actif de l’organisation. Selon lui, « ce système
était régulièrement utilisé pour transmettre des messages entre
les bases et les agents (en particulier lors des exercices de
communication radio), mais il était avant tout destiné à
communiquer des renseignements en cas d’occupation » [33]. L’ACC
disposait de bases dans tous les pays européens dont une au
Royaume-Uni, à partir desquelles les unités présentes dans les
territoires occupés pourraient être activées et commandées.
Apparemment, l’ACC éditait à l’intention des Gladiateurs des
manuels indiquant les procédures communes à suivre relatives aux
actions clandestines, aux communications radio basées sur le
cryptage et le saut de fréquence mais aussi aux largages aériens et
aux atterrissages.
L’ACC
fonctionnait avec une présidence tournante d’une période de deux
ans, en 1990 celle-ci était assumée par la Belgique. La réunion de
l’ACC des 23 et 24 novembre se déroula sous la présidence du
général de division Raymond Van Calster, patron du SGR, les
services secrets militaires belges. Le général Inzerilli se souvint
que « contrairement au CPC, l’ACC n’avait pas de direction
établie et permanente. La présidence du Comité était assumée
pour deux ans et tournait entre tous les membres, en suivant l’ordre
alphabétique », pour cette raison, l’ACC n’était pas soumis à
« la même domination des grandes puissances ». Inzirelli affirma
avoir préféré travailler à l’ACC plutôt qu’au CPC contrôlé
par les États-uniens : « Je dois reconnaître, pour l’avoir
moi-même présidé pendant deux ans, que l’ACC était un comité
véritablement démocratique » [34].
Dans
le cadre de toute recherche approfondie sur l’Opération Gladio et
les réseaux stay-behind de l’OTAN, les transcriptions et
enregistrements des réunions du CPC et de l’ACC s’imposent comme
des sources essentielles. Hélas, alors que des années se sont
écoulées depuis la découverte du réseau top secret, les autorités
de l’OTAN se bornent, comme en 1990, à opposer constamment aux
sollicitations du public le silence ou le refus. Quand dans le cadre
de nos propres recherches, nous contactâmes, à l’été 2000, le
service des archives de l’OTAN pour demander l’accès à des
informations supplémentaires sur Gladio et notamment sur le CPC et
l’ACC, nous reçûmes la réponse suivante : « Après vérification
de nos archives, il n’existe aucune trace des comités que vous
évoquez ». Lorsque nous insistâmes, le service des archives nous
répondit : « Je vous confirme une nouvelle fois que les comités
dont vous parlez n’ont jamais existé au sein de l’OTAN. En
outre, l’organisation que vous appelez 'Gladio' n’a jamais fait
partie de la structure militaire de l’OTAN » [35]. Sur quoi, nous
appelâmes le Bureau de Sécurité de l’OTAN, mais ne pûmes ni
parler au directeur ni même connaître son identité classée
'confidentielle'. Mme Isabelle Jacobs nous informa qu’il était
hautement improbable que nous obtenions jamais des réponses à nos
questions sur un sujet sensible comme Gladio et nous conseilla de
transmettre notre requête par écrit via l’ambassade de notre pays
d’origine.
C’est
ainsi qu’après que la Mission Suisse d’Observation à Bruxelles
eut transmis à l’OTAN nos questions relatives à l’affaire
Gladio, l’ambassadeur de Suisse Anton Thalmann nous répondit qu’à
son grand regret : « L’existence des comités secrets de l’OTAN
que vous mentionnez dans votre lettre n’est connue ni de moi, ni de
mon personnel » [36]. « Quel est le lien entre l’OTAN et le
Clandestine Planning Committee (CPC) et le Allied Clandestine
Committee (ACC) ? Quel est le rôle du CPC et de l’ACC ? Quel est
le lien entre le CPC, l’ACC et le Bureau de Sécurité de l’OTAN
? », telles étaient nos questions : le 2 mai 2001, nous reçûmes
une réponse de Lee McClenny, directeur du service de presse et de
communication de l’OTAN. Dans sa lettre, McClenny prétendait que «
Ni le Allied Clandestine Committee, ni le Clandestine Planning
Committee n’apparaissent dans toute la documentation de l’OTAN,
confidentielle ou non, que j’ai consultée. » Il ajoutait : « En
outre, je n’ai pu rencontrer personne travaillant ici qui ait eu
entendu parler de l’un ou l’autre de ces deux comités. J’ignore
si de tels comités ont un jour existé à l’OTAN, ce qui est sûr
c’est que ce n’est pas le cas aujourd’hui » [37]. Nous
insistâmes une fois encore et demandâmes : « Pourquoi le
porte-parole de l’OTAN Jean Marcotta a-t-il, le 5 novembre 1990,
catégoriquement nié tout lien entre l’OTAN et Gladio pour voir
ses propos démentis deux jours plus tard par un second communiqué ?
», ce à quoi Lee McClenny rétorqua : « Je ne suis pas au
courant de l’existence de liens entre l’OTAN et l’Opération
Gladio'. De plus, je ne trouve personne du nom de Jean Marcotta parmi
la liste des porte-parole de l’OTAN » [38]. Le mystère restait
entier.
La
CIA, l’Agence de renseignement la plus puissante du monde, ne fut
pas plus coopérative que la plus grande alliance militaire du monde
quand il s’agit d’aborder la délicate question de Gladio et des
armées stay-behind. Fondée en 1947, deux ans avant la création de
l’OTAN, la CIA eut pour principale tâche pendant la Guerre froide
de combattre le communisme sur toute la planète en menant des
opérations secrètes qui visaient à étendre l’influence des
États-Unis. « Par actions clandestines », le président Nixon
indiqua un jour qu’il entendait « ces activités qui, bien
qu’elles soient destinées à favoriser les programmes et
politiques des États-Unis à l’étranger, sont planifiées et
exécutées de telle sorte que le public n’y voit pas la main du
gouvernement américain » [39]. Historiens et analystes
politiques ont depuis décrit en détail comment la CIA et les Forces
Spéciales états-uniennes ont, au moyen de guerre secrètes et non
déclarées, influencé l’évolution politique et militaire de
nombreux pays d’Amérique latine ; parmi les faits les plus
marquants, on peut citer le renversement du président guatémaltèque
Jakobo Arbenz en 1954, le débarquement raté de la baie des Cochons
en 1961, qui devait amener à la destitution de Fidel Castro,
l’assassinat d’Ernesto Che Guevara en Bolivie en 1967, le coup
d’État contre le président chilien Salvador Allende et
l’installation au pouvoir du dictateur Augusto Pinochet en 1973, ou
encore le financement des Contras au Nicaragua, suite à la
révolution sandiniste de 1979. [40]
Outre
ses agissements sur le continent sud-américain, la CIA est
également intervenue à de nombreuses reprises en Asie et en
Afrique, notamment pour renverser le gouvernement de Mossadegh en
Iran en 1953, pour soutenir la politique d’Apartheid en Afrique du
Sud, ce qui conduisit à l’emprisonnement de Nelson Mandela, pour
assister ben Laden et al-Qaida en Afghanistan, lors de l’invasion
soviétique de 1979 et pour appuyer le leader Khmer Rouge Pol Pot
depuis des bases conservées au Cambodge, après la défaite
états-unienne au Vietnam en 1975. D’un point de vue
purement technique, le département des opérations secrètes de la
CIA correspond à la définition d’une organisation terroriste
donnée par le FBI. Le "terrorisme" est, selon le
FBI, « l’usage illégal de la force ou de la violence contre des
personnes ou des biens dans le but d’intimider ou de contraindre un
gouvernement, une population civile, ou un segment de celle-ci, à
poursuivre certains objectifs politiques ou sociaux » [41].
Quand,
au milieu des années soixante-dix, le Congrès des États-Unis
découvrit que la CIA et le Pentagone avaient étendu leurs pouvoirs
presque au-delà de tout contrôle et l’avaient outrepassé en de
nombreuses occasions, le sénateur états-unien Frank Church fit avec
assez de clairvoyance ce commentaire : « La multiplication des abus
commis par nos services de renseignement révèle un échec plus
général de nos institutions fondamentales ». Il présidait alors
l’une des trois commissions du Congrès qui furent chargées
d’enquêter sur les agissements des services secrets US, et dont
les rapports, présentés dans la seconde moitié des années
soixante-dix, font aujourd’hui encore autorité sur la question des
guerres secrètes menées par Washington [42] Cependant, les
investigations du Congrès n’eurent qu’un impact limité et les
services secrets continuèrent, avec l’appui de la Maison-Blanche,
à abuser de leur pouvoir, comme le démontra le scandale de
l’Irangate en 1986. Cela amena l’historienne Kathryn Olmsted à
se poser cette « question cruciale » : « Pourquoi, après
avoir débuté leur enquête, la plupart des journalistes et des
membres du Congrès ont-ils renoncé à défier le gouvernement
secret ? » [43]
Alors
qu’aux États-Unis se poursuit le débat sur l’existence ou non
d’un « gouvernement de l’ombre », le phénomène Gladio prouve
que la CIA et le Pentagone ont opéré à plusieurs reprises hors de
tout contrôle démocratique pendant la Guerre froide mais également
après l’effondrement du communisme et ce, sans jamais rendre
compte de leurs agissements. Lors d’une interview accordée à
la télévision italienne en décembre 1990, l’amiral Stansfield
Turner, directeur de la CIA de 1977 à 1981, refusa catégoriquement
d’évoquer l’affaire Gladio. Quand les journalistes, qui avaient
à l’esprit le grand nombre de victimes des nombreux attentats
perpétrés en Italie, se permirent d’insister, l’ex-patron de la
CIA arracha furieusement son micro et hurla : « J’ai dit : pas de
questions sur Gladio ! », mettant ainsi un terme à l’entretien
[44]
D’anciens
officiers de la CIA moins gradés acceptèrent plus volontiers
d’évoquer les secrets de la Guerre froide et les opérations
illégales de l’Agence. Parmi eux, Thomas Polgar, qui
prit sa retraite en 1981 après 30 ans de bons et loyaux services. En
1991, il avait témoigné contre la nomination de Robert Gates à la
tête de la CIA, reprochant à celui-ci d’avoir couvert le scandale
de l’Irangate. Interrogé sur les armées secrètes d’Europe,
Polgar expliqua, en se référant implicitement au CPC et à l’ACC,
que les programmes stay-behind étaient coordonnés par « une
sorte de groupe de planification de guerre non conventionnelle lié à
l’OTAN ». Dans leurs quartiers généraux secrets, les
chefs des armées secrètes nationales « se rencontraient tous les
deux ou trois mois, à chaque fois dans une capitale différente ».
Polgar souligne que « chaque service national le faisait avec plus
ou moins de zèle » tout en admettant que « dans les années
soixante-dix en Italie, certains sont allés même plus loin que
l’exigeait la charte de l’OTAN » [45]. Le journaliste Arthur
Rowse, ancien collaborateur du Washington Post, tira, dans un essai
consacré au sujet « Les leçons de Gladio » : « Aussi longtemps
que le peuple états-unien ignorera tout de ce sombre chapitre des
relations étrangères des USA, cela n’incitera pas véritablement
les agences responsables de cette situation à changer de
comportement. La fin de la Guerre froide n’a changé que très peu
de choses à Washington. Les États-Unis (...) attendent toujours
avec impatience un vrai débat national sur les moyens, les buts, et
les coûts de nos politiques fédérales de sécurité. » [46].
Spécialisés
dans l’étude des opérations clandestines de la CIA et des secrets
de la Guerre froide, les chercheurs de l’institut de recherches
privé et indépendant National Security Archive de l’université
George Washington à Washington ont déposé une requête basée sur
le Freedom of Information Act (FOIA) auprès de la CIA, le 15 avril
1991. D’après les termes de cette loi sur la liberté
d’information, tous les services du gouvernement doivent justifier
devant le peuple de la légalité de leurs actions. Malcolm Byrne,
vice-directeur de recherche au National Security Archive, demandait à
la CIA l’accès à « toutes les archives concernant (...) les
décisions du gouvernement états-unien, probablement prises entre
1951 et 1955, concernant le financement, le soutien ou la
collaboration avec toute armée secrète, tout réseau ou toute autre
unité, créé dans le but de résister à une possible invasion de
l’Europe de l’Ouest par des puissances sous domination communiste
ou de mener des opérations de guérilla dans des pays d’Europe
occidentale dans l’hypothèse où ceux-ci seraient sous l’emprise
de partis ou de régimes communistes, de gauche ou soutenus par
l’Union soviétique ». Byrne ajoutait : « Je vous prie d’inclure
à vos recherches tout document se rapportant à des activités
connues sous le nom d’"Opération Gladio", en particulier
en France, en Allemagne et en Italie » [47].
Byrne
précisait à juste titre que « tous les documents obtenus suite à
cette requête contribueront à faire connaître au public la
politique étrangère des États-Unis au cours de la période qui
suivit la Seconde Guerre mondiale, ainsi que l’impact de la
connaissance, de l’analyse et de l’acquisition du renseignement
dans la politique états-unienne de l’époque ». Mais la CIA
refusa de coopérer et, le 18 juin 1991, elle fournit la réponse
suivante : « La CIA ne peut ni confirmer ni infirmer l’existence
ou l’inexistence d’archives répondant aux critères de votre
requête ». Quand Byrne tenta de contester le refus de l’Agence de
lui fournir des informations sur Gladio, il fut débouté. La
Centrale fonda son refus de coopérer sur deux exceptions
"fourre-tout" à la loi sur la liberté d’information qui
excluent les documents soit parce qu’ils sont « classés
"confidentiel" conformément à une décision de l’Exécutif
dans l’intérêt de la Défense nationale ou de la politique
étrangère » (Exemption B1), soit au nom des « obligations
statutaires du directeur de protéger la confidentialité des sources
et méthodes de renseignement, telles que l’organisation, les
fonctions, noms, titres officiels, revenus et nombre des employés de
l’Agence, conformément aux National Security Act de 1947 et CIA
Act de 1949 » (Exemption B3).
Quand
les responsables européens tentèrent de se confronter au
gouvernement secret, ils n’eurent guère plus de chance. En
mars 1995, une commission du Sénat italien présidée par Giovanni
Pellegrino qui avait mené une enquête sur Gladio et sur les
attentats commis en Italie adressa une requête FOIA à la CIA.
Les sénateurs italiens demandaient l’accès à toutes les archives
relatives aux Brigades Rouges et à l’affaire Moro afin de
découvrir si la CIA avait, dans le cadre du programme d’immixtion
dans les affaires politiques internes du pays, infiltré le groupe
terroriste d’extrême gauche avant qu’ils n’assassinent
l’ancien Premier ministre et leader de la DCI Aldo Moro en 1978.
Refusant de coopérer, l’Agence s’abrita derrière les clauses B1
et B3 et refusa, en mai 1995, tous les accès demandés en ajoutant
que ça ne « confirmait ni n’infirmait l’existence ou
l’inexistence dans les archives de la CIA des documents recherchés
». La presse italienne souligna le caractère embarrassant de ce
refus et titra : « La CIA rejette la demande d’assistance de
la Commission parlementaire. L’enlèvement de Moro, un secret
d’État aux USA » [48].
La
seconde demande de renseignements relatifs à Gladio émanant d’un
gouvernement européen fut adressée à la CIA par le gouvernement
autrichien en janvier 2006, après que des caches d’armes 'top
secrètes' aménagées par l’Agence à l’intention de Gladio
aient été découvertes dans les alpages et les forêts du pays
pourtant neutre. Des représentants du gouvernement américain
répondirent que les États-Unis couvriraient les frais occasionnés
par l’exhumation et la récupération de l’équipement des
réseaux [49]. L’enquête autrichienne fut menée par les
services du ministre de l’Intérieur Mickael Sika qui livra son
rapport final sur les dépôts de munition de la CIA le 28 novembre
1997 en déclarant : « On ne peut établir aucune certitude quant
aux caches d’armes et à l’usage auxquelles elles étaient
destinées ». En conséquence de quoi : « Afin de faire toute la
lumière sur cette affaire, il serait nécessaire de disposer des
documents s’y rapportant, et notamment ceux abrités aux États-Unis
» [50]. Un membre de la Commission, Oliver Rathkolb de
l’université de Vienne, déposa donc une requête en FOIA dans le
but d’obtenir l’accès aux archives de la CIA. Mais en
1997, le comité de divulgation de l’Agence opposa un nouveau refus
motivé par les mêmes exemptions B1 et B3 qui laissa aux Autrichiens
l’amère impression que l’agence américaine n’était tenue de
rendre des comptes auprès de personne.
Étant
donné que c’est là l’unique moyen d’accéder aux archives
relatives à Gladio, nous déposâmes le 14 décembre 2000 une
requête en FOIA auprès de la CIA. Deux semaines plus tard, nous
reçûmes une réponse évasive à notre demande « se rapportant à
l’"Opération Gladio" » : « La CIA ne peut ni confirmer
ni infirmer l’existence ou l’inexistence de documents
correspondant à votre requête ». En invoquant les clauses
restrictives B1 et B3, la coordinatrice chargée de l’information
et des questions de respect de la vie privée Kathryn I. Dyer nous
refusa l’accès aux informations sur l’Opération Gladio [51].
Nous fîmes appel de cette décision en rétorquant que : « Les
documents retenus doivent être publiés en vertu de la loi FOIA sur
la liberté d’expression car les clauses B1 et B3 ne peuvent
s’appliquer qu’à des opérations de la CIA encore tenues
secrètes ». En produisant les données recueillies au cours de nos
recherches, nous prouvâmes que ce n’était plus le cas et
conclûmes : « Si vous, Mme Dyer, invoquez les clauses
restrictives B1 et B3 dans ce contexte, vous privez la CIA de la
possibilité de s’exprimer sur des informations relatives à
l’affaire Gladio, qui seront de toute façon révélées, que la
CIA décide d’intervenir ou non » [52].
En
février 2001, l’Agence nous répondit : « Votre appel a été
accepté et des dispositions seront prises pour qu’il soit examiné
par les membres du comité de divulgation de l’Agence. Vous serez
informé de la décision rendue. » Dans le même temps, la CIA
précisa que cette commission traitait les demandes en fonctions de
leur date de dépôt et que « en ce moment, nous avons à examiner
environ 315 appels » [53]. Notre requête portant sur le réseau
Gladio fut ainsi mise en attente et rangée en bas de la pile. Au
moment de la rédaction de cet ouvrage, la commission n’avait
toujours pas rendu son avis [54].
Après
l’OTAN et la CIA, la troisième principale organisation impliquée
dans l’opération stay-behind était le MI6. Celui-ci ne prit pas
position sur l’affaire Gladio en 1990 en raison d’une légendaire
obsession du secret, l’existence de cette Agence elle-même ne fut
officiellement admise qu’en 1994, avec la publication de
l’Intelligence Services Act qui établit que l’organisation avait
pour missions d’obtenir du renseignement et d’exécuter des
opérations secrètes à l’étranger.
Tandis
que l’exécutif britannique et le MI6 se refusaient à tout
commentaire, Rupert Allason, membre du parti conservateur,
rédacteur de l’Intelligence Quarterly Magazine sous le pseudonyme
de Nigel West et auteur de plusieurs ouvrages sur les services de
sécurité britanniques, confirma, en novembre 1990, au plus fort du
scandale Gladio, lors d’un entretien téléphonique accordé à
Associated Press : « Nous étions, et sommes toujours, fortement
impliqués (...) dans ces réseaux ». West expliqua que la
Grande-Bretagne « a bien entendu participé, aux côtés des
États-uniens, au financement et au commandement » de plusieurs
réseaux et qu’elle était également engagée dans le cadre de la
collaboration entre le MI6 et la CIA : « Ce sont les agences de
renseignement britanniques et états-uniennes qui sont à l’origine
du projet ». West affirma qu’à partir de 1949, l’action des
armées stay-behind avait été coordonnées par la Structure de
Commandement et de Contrôle des Forces Spéciales de l’OTAN au
sein desquelles le Special Air Service (SAS) jouait un rôle
stratégique [55].
«
La responsabilité de la Grande-Bretagne dans la mise en place des
réseaux stay-behind dans toute l’Europe est absolument
fondamentale », rapporta la BBC avec un certain retard dans son
édition du soir du 4 avril 1991. Le présentateur des informations
John Simpson accusa le MI6 et le ministère de la Défense
britannique de ne pas divulguer toutes les informations dont ils
disposaient sur le sujet « alors que les révélations sur Gladio
ont entraîné la découverte d’armées stay-behind dans d’autres
pays européens - en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Espagne,
en Grèce et en Turquie. Même dans des pays neutres comme la
Suède et la Suisse, cela a donné lieu à un débat public.
Dans certains cas, des enquêtes officielles ont été diligentées.
En revanche, en Grande-Bretagne, toujours rien. Rien que les
habituels communiqués du ministère de la Défense qui ne souhaite
pas commenter les questions de Sécurité nationale » [56]. Simpson
déclara qu’après la chute du Mur de Berlin les Britanniques
avaient pris connaissance des complots et des opérations de
terrorisme ourdis par la Stasi, la Securitate et d’autres services
secrets d’Europe de l’Est avec une horreur mêlée de
fascination. « Se peut-il alors que notre camp se soit livré à des
actions comparables ? Jamais ! » commenta-t-il avec ironie avant
d’attirer l’attention sur les services de sécurité d’Europe
occidentale : « Mais des informations commencent à présent à
filtrer concernant des abus qui auraient été commis par la plupart
des services secrets des membres de l’OTAN. En Italie, une
commission parlementaire a été chargée d’enquêter sur les
agissements d’une armée secrète créée par l’État dans le but
de résister à une éventuelle invasion soviétique. L’enquête a
permis de découvrir l’existence de forces armées clandestines
similaires dans toute l’Europe. Mais le groupe italien, connu sous
le nom de Gladio, est, lui, soupçonné d’avoir participé à une
série d’attentats terroristes » [57].
La
BBC ne put obtenir aucune réaction des responsables du gouvernement
sur le scandale Gladio, la confirmation officielle de l’implication
du MI6 ne vint que des années plus tard et dans un cadre plutôt
inhabituel : un musée. En juillet 1995, une nouvelle exposition
permanente baptisée « Les guerres secrètes » fut inaugurée à
l’Imperial War Museum de Londres. « Tout ce que vous pouvez voir
dans cette exposition fait partie des secrets les mieux gardés du
pays », assurait-on aux visiteurs à l’entrée. « C’est la
première fois qu’ils sont dévoilés au public. Et le plus
important : tout est véridique... la réalité est bien plus
incroyable et passionnante que la fiction. » Sur l’une des
vitrines consacrées au MI6, un commentaire discret confirmait que :
« Les préparatifs en vue d’une Troisième Guerre mondiale
incluaient la création de commandos stay-behind parés à opérer
derrière les lignes ennemies dans le cas d’une invasion soviétique
de l’Europe de l’Ouest ». Dans la même vitrine, une
grosse caisse pleine d’explosifs était accompagnée de la légende
suivante : « Explosifs conçus spécialement par le MI6 pour être
cachés dans des territoires susceptibles de passer à l’ennemi.
Ils pouvaient rester enterrés pendant des années sans subir la
moindre altération. » À côté d’un manuel consacré aux
techniques de sabotage pour commandos stay-behind, on pouvait lire :
« Dans la zone d’occupation britannique en Autriche, des officiers
de la Marine Royale furent spécialement détachés pour aménager
des caches d’armes en montagne et collaborer avec des agents
recrutés sur place » [58]
D’anciens
officiers du MI6 interprétèrent à juste titre cette exposition
comme un signe qu’ils étaient à présent libres de s’exprimer
sur l’Opération Gladio. Quelques mois après l’inauguration, les
anciens officiers de la Marine Royale Giles et Preston, les seuls
agents du MI6 dont les noms étaient cités dans l’exposition à
côté d’une photographie prise « dans les Alpes autrichiennes,
1953-1954 », confirmèrent à l’écrivain Michael Smith qu’à la
fin des années quarante et au début des années cinquante,
États-uniens et Britanniques avaient recruté des unités
stay-behind en Europe de l’Ouest en prévision d’une invasion
soviétique. Giles et Preston furent envoyés à Fort Monckton, non
loin de Portsmouth en Angleterre, où les Gladiateurs partageaient
l’entraînement des SAS sous l’égide du MI6. Ils étaient formés
au cryptage, au maniement des armes à feu et aux opérations
secrètes. « On nous faisait faire des exercices, sortir au beau
milieu de la nuit et faire semblant de faire exploser des trains sans
que le chef de gare ou les porteurs ne nous repèrent », se souvint
Preston. « On approchait en rampant et on faisait semblant de fixer
des charges explosives sur le côté droit de la locomotive » [59]
Giles
se remémora avoir pris part à des opérations de sabotage sur des
trains britanniques en service comme, par exemple, l’exercice qui
eut lieu à la gare de triage d’Eastleigh : « Nous déposions des
briques dans les locomotives pour simuler des pains de plastic. Je me
rappelle les files et les files de wagons, entièrement recouverts
d’une épaisse couche de neige, arrêtés là au milieu des nuages
de vapeur. Des soldats patrouillaient avec des chiens. À un moment
donné, les gardes se sont approchés, j’ai alors dû me cacher
entre les cylindres des locomotives et attendre qu’ils passent.
Nous ôtions aussi le bouchon des réservoirs d’huile des essieux
pour y verser du sable, ce qui avait pour conséquence, au bout de
quelques dizaines de kilomètres, de les faire tous surchauffer »
[60]. Le fait qu’il s’agisse de trains publics en service ne
semblait pas gêner les deux agents : « Ce n’était pas mon
problème », expliqua Giles, « nous ne faisions que jouer ». «
J’ai dû arpenter Greenwich pendant 10 jours pour apprendre à
filer des gens et à semer ceux qui me filaient, la réalité
concrète du boulot d’espion », raconta Preston. Puis, ils furent
envoyés en Autriche avec pour mission de recruter et de former des
agents et supervisèrent le réseau de « bunkers souterrains remplis
d’armes de vêtements et de matériel » mis en place par « le MI6
et la CIA » à destination du Gladio autrichien [61] En visitant le
quartier général du MI6 sur les bords de la Tamise à Londres en
1999, il ne fut pas surpris outre mesure d’apprendre que le MI6 a
pour règle de ne jamais évoquer les secrets militaires.
(À
suivre…)
Daniele
Ganser
Historien
suisse, spécialiste des relations internationales contemporaines. Il
est enseignant à l'Université de Bâle.
Cet
article constitue le troisième chapitre des Armées secrètes de
l'OTAN
©
Version française : éditions Demi-lune (2007).
[1]
Quotidien britannique The European du 9 novembre 1990.
[2]
Ibid. Il semble que le représentant de l’OTAN qui apporta le
rectificatif soit Robert Stratford. Voir Regine Igel, Andreotti.
Politik zwischen Geheimdienst und Mafia (Herbig Verlag, Munich,
1997), p.343.
[3]
Quotidien britannique The Observer du 18 novembre 1990.
[4]
Quotidien britannique The Guardian du 10 novembre 1990.
[5]
Ibid., 30 janvier 1992.
[6]
Ibid., 16 janvier 1991.
[7]
Agence de presse internationale Reuters, 15 novembre 1990.
[8]
Aucun auteur spécifié, « Gladio. Un misterio de la guerra fria. La
trama secreta coordinada por mandos de la Alianza Atlantica comienza
a salir a la luz tras cuatro decadas de actividad » dans le
quotidien espagnol El Pais du 26 novembre 1990.
[9]
Aucun auteur spécifié, « El servicio espanol de inteligencia
mantiene estrechas relaciones con la OTAN. Serra ordena indagar sobre
la red Gladio en Espana » dans le quotidien espagnol El Pais du 16
novembre 1990.
[10]
Erich Schmidt Eenboom, Schnüffler ohne Nase. Der BND. Die
unheimliche Macht im Staate (Econ Verlag, Düsseldorf, 1993), p.365.
[11]
Quotidien portugais Expresso du 24 novembre 1990.
[12]
Ibid.
[13]
Agence de presse internationale Reuters, 13 novembre 1990. Quotidien
britannique The Independent du 16 novembre 1990.
[14]
Agence de presse internationale Associated Press, 14 novembre 1990.
Agence de presse internationale Reuters, 12 november 1990. Agence de
presse internationale Reuters, 15 novembre 1990.
[15]
Hebdomadaire britannique The Independent on Sunday du 21 juin 1998.
Critique d’un ouvrage sur Nixon (Nixon in Winter) par l’ancienne
assistante de Nixon : Monica Crowley.
[16]
Ils furent :
1951–1952
Gén. Dwight D Eisenhower, US Army ;
1952–1953
Gén. Matthew B Ridgway, US Army ;
1953–1956
Gén. Alfred M Gruenther, US Army ;
1956–1962
Gén. Lauris Norstad, US Air Force ;
1963–1969
Gén. Lyman L Lemnitzer, US Army ;
1969–1974
Gén. Andrew J Goodpaster, US Army ;
1974–1979
Gén. Alexander M Haig Jr, US Army ;
1979–1987
Gén. Bernard W Rogers, US Army ;
1987–1992
Gén. John R Galvin, US Army ;
1992–1993
Gén. John M Shalikashvili, US Army ;
1993–1997
Gén. George A Joulwan, US Army ;
1997–2000
Gén. Wesley K. Clark, US Army.
2000-2003
Gén. Joseph Ralston, US Air Force ;
2003-2006
Gén. James L. Jones, US Marine Corps ;
2006-2009
Gén. Bantz J. Craddock, US Army ;
2009-
Am. James G. Stavridis, US Navy.
[17]
Jonathan Kwitny, « The CIA’s Secret Armies in Europe » dans The
Nation, 6 avril 1992, p.445.
[18]
Hebdomadaire allemand Der Spiegel, n°47, p.20, 19 novembre 1990.
[19]
Pietro Cedomi, « Services Secrets, Guerre Froide et ‘stay-behind’
Part III. Répertoire des réseaux S/B » dans le périodique belge
Fire ! Le Magazine de l’Homme d’Action, novembre/ décembre 1991,
p.82.
[20]
Commission d’enquête parlementaire sur Gladio, tel que résumé
dans le périodique britannique Statewatch, janvier/février 1992.
[21]
Philip Willan, Puppetmasters : The Political Use of Terrorism in
Italy (Constable, Londres, 1991), p.27.
[22]
Arthur Rowse, « Gladio : The Secret US War to subvert Italian
Democracy » dans Covert Action Quarterly, n°49, Été 1994, p.3.
[23]
Extrait de Willan, Puppetmaster, p.27.
[24]
Mario Coglitore (ed.), La Notte dei Gladiatori. Omissioni e silenze
della Repubblica (Calusca Edizioni, Padoue, 1992), p.34. «
L’existence des protocoles secrets de l’OTAN est un fait avéré
car de Gaulle les a dénoncés explicitement le 7 mars 1966 et le
Parlement de la RFA a récemment admis qu’ils existaient »
(ibid.).
[25]
Périodique britannique Searchlight, janvier 1991.
[26]
Paolo Inzerili, Gladio. La Verità negata (Edizioni Analisi, Bologne,
1995), p.61.
[27]
Inzerilli, Gladio, p.62.
[28]
Gerardo Serravalle, Gladio (Edizione Associate, Rome, 1991), p.78.
[29]
Ibid., p.78.
[30]
Commission d’enquête parlementaire sur Gladio, tel que résumé
dans le périodique britannique Statewatch, janvier/février 1992.
[31]
Inzerilli, Gladio, p.63.
[32]
Ibid.
[33]
Michel Van Ussel : Georges 923. Un agent du Gladio belge parle.
Témoignage (Éditions La Longue Vue, Bruxelles, 1991), p.139.
[34]
Inzerilli, Gladio, p.64.
[35]
Courriel d’Anne-Marie Smith du service des archives de l’OTAN à
l’auteur, 18 août 2000.
[36]
Lettre du chef de la mission suisse à l’OTAN, l’ambassadeur
Anton Thalmann, à l’auteur, datée du mai 2001.
[37]
Lettre de Lee McClenny, responsible du service de relation presse et
médias de l’OTAN, à l’auteur, datée du 2 mai 2001.
[38]
Ibid.
[39]
Presidential Directive, National Security Decision Memorandum 40,
Responsibility for the Conduct, Supervision and Coordination of
Covert Action Operations, Washington February 17 1970. Signed :
Richard Nixon.
[40]
Pour découvrir un historique complet des opérations secrètes de la
CIA dans le monde depuis 1945, voir William Blum : Killing Hope. US
Military and CIA interventions since World War II (Common Courage
Press, Maine, 1995). Version française : Les Guerres scélérates
(Parangon, 2004).
[41]
Source : www.terrorism.com
[42]
Les trois commissions étaient la Commission du Sénat présidée par
Frank Church, la Commission de la Chambre des Représentants présidée
par Ottis Pike et la Commission Murphy du Président Ford.
1.
Report of the House Select Committee on Intelligence [Pike
Committee], Ninety-fourth Congress, Publié par Village Voice, New
York City, février 1976.
2.
Report of the Commission on the Organization of the Government for
the Conduct of Foreign Policy [Murphy Commission], US Government
Printing Office, Washington DC, June 1975.
3.
Final Report, of the United States Senate Select Committe to Study
Governmental Operations with Respect to Intelligence Activities
[Church Committee], US Government Printing Office, Washington DC,
April 1976.
Celui
qui peut être considéré comme le meilleur des trois rapports, le
Rapport final de la Commission Sénatoriale d’Enquête sur les
Opérations du Gouvernement en matière de Renseignement, se compose
de six volumes. Le premier traite du « Renseignement Extérieur et
Militaire, de la CIA, des opérations secrètes et la question du
contrôle démocratique des services secrets ». Dans le second
volume, intitulé « Activités de Renseignement et Droits des
Citoyens États-uniens » le rapport Church révèlent de quelle
manière la NSA et le FBI ont violé la vie privée des citoyens
états-uniens. Le troisième volume, intitulé « Rapports Internes
Complémentaires sur les Activités de Renseignement et les Droits
des Citoyens États-uniens », prolonge l’analyse du précédent et
affirme que « contre-espionnage » est une appellation impropre pour
« opération clandestine intérieure ». Le quatrième volume,
intitulé « Rapports Internes Complémentaires sur le Renseignement
Extérieur et Militaire » présente un historique de la CIA de 1946
à 1975. Le cinquième volume, intitulé « L’Assassinat du
Président John F. Kennedy et le Travail des Agences de Renseignement
», tente d’établir si les services secrets US ont ou non conspiré
pour entretenir le secret autour de l’assassinat de JFK. Le dernier
volume, intitulé « Rapports Complémentaires sur les Activités de
Renseignement », traite de l’évolution historique et de
l’organisation de la capacité de renseignement nationale de 1776 à
1976.
Des
extraits de ces rapports ont été publiés en français sous le
titre Les Complots de la CIA. Manipulations et assassinats (Stock,
1976).
[43]
Kathryn Olmsted, Challenging the Secret Government : The
Post-Watergate Investigations of the CIA and FBI (University of North
Carolina Press, Chapelhill, 1996), p.9.
[44]
Quotidien britannique The Independent du 1er décembre 1990.
[45]
Jonathan Kwitny, « The CIA’s Secret Armies in Europe » dans The
Nation , 6 avril 1992, p.445.
[46]
Arthur Rowse, « Gladio. The Secret US War to Subvert Italian
Democracy » dans Covert Action Quarterly, n°49, Été 1994.
[47]
Requête FOIA : « L’Operation ‘Gladio’ de la CIA », déposée
par Malcolm Byrne le 15 avril 1991. Requête FOIA n° 910113.
[48]
Quotidien italien Corriere della Sera du 29 mai 1995.
[49]
Magazine politique autrichien Zoom, n° 4/5, 1996 : « Es muss nicht
immer Gladio sein. Attentate, Waffenlager, Erinnerungslücken »,
p.6.
[50]
Bericht betreff US Waffenlager. Oesterreichisches Bundesministerium
für Inneres. Generaldirektor für die öffentliche Sicherheit. Mag.
Michael Sika. 28 novembre 1997. Vienne, p.10.
[51]
Lettre datée du 28 décembre 2000 et adressée par la CIA à
l’auteur concernant la requête FOIA F-2000-02528 portant sur
l’opération Gladio.
[52]
Lettre datée du 23 janvier 2001 et adressée par l’auteur à Mme
Dyer de la CIA.
[53]
Lettre datée du 7 février 2001 et adressée par la coordinatrice
des questions d’information et de respect de la vie privée Kathryn
I. Dyer à l’auteur.
[54]
Au moment de la mise sous presse de l’édition française, soit 6
ans après la demande, l’auteur attend toujours… (Note de
l’éditeur)
[55]
Agence de presse internationale Associated Press, 14 novembre 1990.
[56]
Télévision britannique. BBC Newsnight, 4 avril 1991, 22 h 30.
Reportage du journaliste Peter Marshall sur Gladio.
[57]
Ibid.
[58]
Imperial War Museum, Londres. Exposition sur les Guerres Secrètes.
Visitée par l’auteur le 20 mai 1999. Le 4 juin 1999, l’auteur
rencontra Mark Siemens, du département de recherche du musée et en
charge de l’exposition sur les Guerres Secrètes, qui souligna que
l’unité secrète SOE, créée pendant le Seconde Guerre mondiale,
était le prédécesseur des stay-behinds Gladio. L’auteur ne
parvint à obtenir du MI6 aucune information supplémentaire sur le
phénomène.
[59]
Michael Smith, New Cloak, Old Dagger : How Britain’s Spies Came in
from the Cold (Gollancz, Londres, 1996), p.117. Basé sur des
entretiens avec Simon Preston le 11 octobre 1995 et Michael Giles le
25 octobre 1995.
[60]
Smith, Dagger, p.117.
[61]
Ibid., p.118.
.
Les
armées secrètes de l’OTAN (IV)
Les
égouts de Sa Majesté
par
Daniele Ganser*
Les
réseaux stay-behind, qui permettent à l'OTAN de contrôler la vie
politique des États alliés, ont été construits à partir des
réseaux de résistance au nazisme que les Britanniques avaient
organisé et soutenu durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, la
lutte contre le communisme a servi de justification à toutes sortes
d'opérations au Royaume-Uni même (attentats terroristes sous
faux drapeau et assassinats de républicains irlandais), en
Europe continentale (principalement en France, au Bénélux, dans les
pays nordiques, et jusqu'en Suisse neutre), et même en Afrique et en
Asie (par exemple pour encadrer le massacre des populations
francophones du Cambodge par les Khmers rouges). Dans ce quatrième
volet de l'histoire du Gladio, Daniele Ganser nous dévoile les
égouts de Sa Majesté.
La
vérité définitive sur la Guerre froide ne sera jamais écrite,
l’Histoire évoluant sans cesse au rythme des sociétés qui la
font et l’étudient. Mais les historiens de nombreux pays
s’accordent à dire que le fait majeur de cette période fut, du
point de vue des Occidentaux, la lutte contre le communisme à
l’échelle de la planète. Dans ce combat qui aura marqué
l’histoire du XXe siècle comme peu d’autres, l’ancienne
superpuissance coloniale britannique dut renoncer à son hégémonie
au profit des États-Unis. Ces derniers instrumentèrent
la lutte contre le communisme pour accroître leur influence,
décennie après décennie. Depuis l’effondrement de l’Union
soviétique qui mit un terme à la Guerre froide en 1991, l’Empire
américain s’est assuré une domination jamais vue dans toute
l’histoire.
En
Grande-Bretagne, l’establishment conservateur s’émut vivement en
1917, quand, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité,
un régime communiste fut mis en place dans un lointain mais vaste
pays agricole. Après la Révolution russe, les communistes prirent
le contrôle des usines et annoncèrent que les moyens de production
étaient dorénavant la propriété du peuple. Dans la plupart des
cas, les investisseurs perdirent tout. Dans ses Origines de la Guerre
froide, l’historien Denna Frank Fleming observa que nombre des
bouleversements sociaux apportés par la Révolution, notamment
l’abolition des cultes et de la noblesse paysanne, « auraient pu
être acceptés par les conservateurs, à l’étranger, avec le
temps mais la nationalisation de l’industrie, du commerce et de la
terre, jamais ». L’exemple de la Révolution russe ne fut
suivi nulle part. « J.B. Priestly a dit un jour que l’esprit des
conservateurs anglais s’était fermé lors de la Révolution russe
et ne s’est plus jamais rouvert depuis. » [1]
Largement
ignorée à l’Ouest, la guerre secrète contre le terrorisme débuta
donc immédiatement après la Révolution russe, quand la
Grande-Bretagne et les États-Unis levèrent des armées secrètes
contre les nouveaux pays satellites de l’Union soviétique. Entre
1918 et 1920, Londres et Washington s’allièrent à la droite russe
et financèrent une dizaine d’interventions militaires sur le sol
soviétique, dont toutes échouèrent à renverser les nouveaux
dirigeants tout en faisant naître chez les élites communistes et
chez le dictateur Staline de très forts soupçons quant aux
intentions de l’Occident capitaliste [2]. Dans les années
qui suivirent, l’Union soviétique renforça son appareil
sécuritaire jusqu’à devenir un État totalitaire n’hésitant
pas à arrêter les étrangers présents sur son sol, suspectés
d’être des agents de l’Ouest. Comme il devint évident qu’il
ne serait pas aisé de renverser le régime communiste en Russie, la
Grande-Bretagne et ses alliés consacrèrent leurs efforts à
empêcher le communisme de s’étendre à d’autres pays.
En
juillet 1936, le dictateur fasciste Franco tenta un coup d’État
contre le gouvernement de la gauche espagnole et, au cours de la
guerre civile qui s’ensuivit, élimina l’opposition et les
communistes espagnols, bénéficiant pour cela du soutien silencieux
des gouvernements de Londres, Washington et Paris. Si
l’ascension d’Adolf Hitler ne fut pas combattue, c’est en
grande partie parce qu’il désignait le bon ennemi : le communisme
soviétique. Pendant la guerre civile espagnole, les armées de
Hitler et Mussolini purent librement bombarder l’opposition
républicaine. Après avoir déclenché la Seconde Guerre mondiale,
Hitler lança trois grandes offensives contre la Russie, en 1941,
1942 et 1943, qui faillirent porter un coup fatal au bolchevisme. De
tous les belligérants, c’est l’Union soviétique qui paya le
plus lourd tribut : 15 millions de morts parmi les civils, 7 millions
parmi les soldats et 14 millions de blessés [3]. Les
historiens russes ont depuis prétendu que, malgré les demandes
urgentes de Moscou, les États-Unis, qui perdirent 300 000 hommes
pour libérer l’Europe et l’Asie, s’étaient entendus avec la
Grande-Bretagne pour ne pas ouvrir de deuxième front à l’Ouest,
ce qui aurait naturellement mobilisé des troupes allemandes et, par
conséquent, diminué leur nombre sur le front russe. C’est
seulement après Stalingrad que le rapport de force s’inversa :
l’Armée rouge eut enfin le dessus sur les Allemands et marcha vers
l’Ouest ; c’est ce qui explique, toujours selon les historiens
russes, que les Alliés, craignant de perdre du terrain, ont
rapidement ouvert un second front et, après le débarquement de
Normandie, rejoint les Soviétiques à Berlin [4].
Les
historiens britanniques attestent de toute une succession d’intrigues
qui ont façonné les autres pays et le leur. « L’Angleterre
moderne a toujours été un haut lieu de subversion - aux yeux des
autres mais pas aux siens », observa Mackenzie après la Seconde
Guerre mondiale. « D’où ce miroir à deux faces : d’un côté
la perception à l’étranger d’une Angleterre intrigante, subtile
et totalement secrète, et de l’autre une image d’honnêteté, de
simplicité et de bienveillance partagée par une majorité de
sujets. » [5] Pour Mackenzie, la légendaire guerre secrète
pratiquée par les Britanniques trouve son origine « dans l’histoire
des 'petites guerres' qui façonnèrent l’histoire de l’Empire
britannique » [6]. À la veille de la Seconde Guerre mondiale,
les stratèges du ministère de la Défense britannique conclurent
que leurs opérations secrètes devaient « s’inspirer de
l’expérience acquise en Inde, en Irak, en Irlande et en Russie,
c’est-à-dire développer une guérilla assortie de techniques de
combat empruntées à l’IRA » [7].
En
mars 1938, peu après l’annexion de l’Autriche par Hitler, un
nouveau département fut créé au MI6, sous le nom de Section D,
chargé de développer des opérations de subversion en Europe. La
Section D commença à former des commandos de sabotage stay-behind
dans les pays menacés par une agression allemande [8]. Quand, en
1940, l’invasion du sud de l’Angleterre sembla imminente, la «
Section D entreprit de disséminer des réserves d’armes et des
agents recruteurs dans toute la Grande-Bretagne, sans en informer
personne. Le MI5, qui opère à l’intérieur des frontières du
pays, s’inquiéta quand il reçut les premiers rapports sur les
activités de la Section D et plusieurs de ses agents furent arrêtés
comme espions avant que la vérité ne soit découverte. » [9] Le
recrutement et la direction des agents stay-behind par les membres de
la Section D semblaient se faire dans le plus grand secret : «
L’apparence de ces inconnus [les agents de la Section D] dans leurs
costumes de ville et leurs berlines noires et la mystérieuse
impression qui s’en dégageait ne tarda pas à inquiéter la
population », se souvient Peter Wilkinson, un ancien agent du SOE.
Les agents secrets rendaient également furieux « les responsables
militaires en refusant systématiquement d’expliquer les raisons de
leur présence ou d’évoquer le contenu de leurs missions, se
contentant d’indiquer que tout cela était top secret » [10]. Un
demi-siècle plus tard, l’exposition de l’Imperial War Museum de
Londres consacrée aux « guerres secrètes » révéla au public
comment « la section D du MI6, conformément à la doctrine
stay-behind, avait également mis en place en Angleterre des armées
de résistants baptisées 'Unités Auxiliaires' et équipées en
armes et explosifs ». Ces premières unités Gladio de
Grande-Bretagne « reçurent un entraînement spécial et apprirent à
opérer derrière les lignes ennemies dans l’hypothèse où l’île
serait envahie par les Allemands. S’appuyant sur un réseau de
cachettes secrètes et de caches d’armes, elles devaient pratiquer
des actes de sabotages et de guérilla contre l’occupant allemand.
» [11] L’envahisseur n’étant jamais venu, on ignore si ce plan
aurait pu fonctionner. Mais, en août 1940, « une armée assez
hétéroclite » fut tout de même déployée le long des littoraux
anglais et écossais de la mer du Nord, aux endroits les plus
vulnérables à une invasion [12].
La
zone d’action de la Section D du MI6 était initialement limitée à
la Grande-Bretagne. Il en fut ainsi jusqu’en juillet 1940, lorsque
le Premier ministre britannique Winston Churchill ordonna la création
d’une armée secrète baptisée SOE destinée à « mettre le feu à
l’Europe en épaulant les mouvements de résistance et en menant
des opérations de subversion en territoire ennemi » [13].
Un mémorandum du ministère de la Guerre daté du 19 juillet 1940
indique que : « Le Premier ministre a également décidé, après
consultation des ministres concernés, qu’une nouvelle organisation
devait être créée immédiatement avec pour mission de coordonner
toutes les actions de subversion et de sabotage dirigées contre
l’ennemi hors du territoire national ». Le SOE fut placé sous le
commandement de Hugh Dalton, ministre de l’Économie de guerre.
Après que les Allemands eurent envahi la France et semblèrent
installés pour longtemps, le ministre Dalton fit valoir la nécessité
d’engager une guerre secrète contre les forces allemandes dans les
territoires occupés : « Nous devons organiser, à l’intérieur
des territoires occupés, des mouvements comparables au Sinn Fein en
Irlande, à la guérilla chinoise qui lutte en ce moment contre le
Japon, aux irréguliers espagnols qui jouèrent un rôle non
négligeable dans la campagne de Wellington ou, autant le
reconnaître, des mouvements comparables aux organisations
développées si remarquablement par les nazis eux-mêmes dans
presque tous les pays du monde ». Il semblait évident que les
Britanniques ne pouvaient se permettre de négliger le recours à la
guerre clandestine, Dalton ajouta : « Cette 'internationale
démocratique' doit employer différentes méthodes, y compris le
sabotage des installations industrielles et militaires, l’agitation
syndicale et la grève, la propagande continuelle, les attentats
terroristes contre les traîtres et les dirigeants allemands, le
boycott et les émeutes. » Il fallait donc bâtir, dans le plus
grand secret, un réseau de résistance, en faisant appel aux têtes
brûlées de l’armée et du renseignement britanniques : «
Ce qu’il nous faut c’est une nouvelle organisation qui coordonne,
inspire, supervise et assiste les réseaux des pays occupés qui
devront en être les acteurs directs. Nous devrons pour cela pouvoir
compter sur la plus absolue discrétion, sur une bonne dose
d’enthousiasme fanatique, sur la volonté de coopérer avec des
personnes de nationalités différentes et sur le soutien
inconditionnel du pouvoir politique. » [14]
Sous
l’égide du ministre Dalton, le commandement opérationnel du SOE
fut confié au général de division Sir Colin Gubbins, un petit
homme sec et maigre, originaire des Highlands et portant une
moustache, qui allait par la suite jouer un rôle déterminant dans
la création du Gladio britannique [15]. « Le problème et sa
solution consistaient à encourager et à permettre aux peuples des
pays occupés de nuire autant que possible à l’effort de guerre
allemand par le sabotage, la subversion, le débrayage, des raids
éclairs, etc. ... », décrivit Gubbins, « et, dans le même temps,
préparer en territoire ennemi des forces secrètes organisées,
armées et entraînées qui n’interviendraient que lors de l’assaut
final. » Le SOE était en réalité le précurseur de l’Opération
Gladio, initié au milieu de la Seconde Guerre mondiale. Gubbins
résume ce projet ambitieux en ces termes : « Au bout du compte, ce
plan consistait à faire parvenir dans les zones occupées un grand
nombre d’hommes et d’importantes quantités d’armes et
d’explosifs » [16]
Le
Special Operations Executive employait une grande partie des
effectifs de la Section D et il finit par devenir à lui seul une
organisation majeure, comptant plus de 13 000 hommes et femmes dans
ses rangs et opérant dans le monde entier en étroite collaboration
avec le MI6. S’il arriva au SOE d’effectuer des missions
en Extrême-Orient, depuis des bases arrières situées en Inde et en
Australie, l’Europe de l’Ouest restait son principal théâtre
d’opérations où il se consacrait presque exclusivement à la
création des armées secrètes nationales. Le SOE encourageait le
sabotage et la subversion dans les territoires occupés et
établissait des noyaux d’hommes entraînés capables d’assister
les groupes de résistants dans la reconquête de leurs pays
respectifs. « Le SOE fut pendant 5 ans le principal instrument
d’intervention de la Grande-Bretagne dans les affaires politiques
internes de l’Europe », précise le rapport du British Cabinet
Office, « un instrument extrêmement puissant », puisque capable
d’exécuter une multitude de tâches, « Tant que le SOE était en
action, aucun homme politique européen ne pouvait croire au
renoncement ou à la défaite des Britanniques » [17]
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Longtemps
connu sous le nom de code "C", Sir Stewart Menzies fut
directeur du MI6 de 1939 à 1952. Il assura la pérennité du {stay
behind} après la victoire contre les nazis.
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E.O. Hoppé
Officiellement,
le SOE fut dissous et son commandant démissionna au lendemain de la
guerre, en janvier 1946. Cependant Sir Steward Menzies, qui dirigea
le MI6 de 1939 à 1952, n’allait certainement pas renoncer à un
outil aussi précieux que l’armée secrète, d’autant que le
directeur du Département des Opérations Spéciales du MI6 assurait
que les actions clandestines de la Grande-Bretagne se poursuivraient
pendant la Guerre froide. Le rapport du gouvernement sur le SOE,
document qui fut tenu secret pendant un temps, conclut que : « Il
est quasiment certain que, sous une forme ou sous une autre, le SOE
devra être restauré dans une guerre future » [18]. Les objectifs à
long terme du SOE et de son successeur, le Special Operations Branch
du MI6, approuvés provisoirement par le Conseil de l’État-major
britannique le 4 octobre 1945, prévoyaient d’abord la création du
squelette d’un réseau capable de s’étendre rapidement en cas de
guerre et, dans un second temps, la réévaluation des besoins du
gouvernement britannique pour ses opérations clandestines à
l’étranger. « Il a été décidé de préparer ces actions en
priorité dans les pays susceptibles d’être envahis au cours des
premières phases d’un conflit avec l’Union soviétique, mais non
encore soumis à la domination de Moscou. » [19] Après la Seconde
Guerre mondiale, l’Europe de l’Ouest demeura donc le principal
théâtre des opérations de la guerre secrète britannique.
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A
partir de 1946, Sir Colin Gubbins commanda une nouvelle section du
MI6, qui intégra les réseaux stay-behind de la Seconde Guerre
mondiale.
Après
le démantèlement du SOE le 30 juin 1946, une nouvelle section dite
« Special Operations » (SO) fut créée au sein du MI6 et placée
sous le commandement du général de division Colin Gubbins. D’après
le spécialiste néerlandais des services secrets Frans Kluiters, le
MI6 promouvait la formation d’armées anticommunistes secrètes «
tandis que les Special Operations commençait à bâtir des réseaux
en Allemagne de l’Ouest, en Italie et en Autriche. Ces
réseaux (des organisations stay-behind) pouvaient être activés en
cas d’une éventuelle invasion soviétique, afin de récolter des
informations et d’effectuer des actes de sabotage offensif » [20].
Gubbins veilla à ce qu’après 1945 les effectifs soient maintenus
en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Grèce et en Turquie ; en
effet, le SOE et ses successeurs « avaient d’autres
préoccupations politiques que la seule défaite de l’Allemagne ».
La directive de 1945, particulièrement explicite, « établissait
clairement que les principaux ennemis du SOE étaient le communisme
et l’Union soviétique » car l’on considérait que les intérêts
britanniques étaient « menacés par l’Union soviétique et le
communisme européen » [21] Quelques années plus tard, dans
l’espoir de gagner le soutien de la représentation nationale à la
poursuite des opérations clandestines, le ministre des Affaires
étrangères britannique Ernest Bevin s’adressa au Parlement
le 22 janvier 1948 pour demander instamment la création d’unités
armées spécialisées destinées à lutter contre la subversion et
les « cinquièmes colonnes » soviétiques. À l’époque,
seuls quelques rares parlementaires savaient que cette proposition
était en réalité déjà en application.
Washington
partageant la même hostilité que Londres à l’égard des
Soviétiques, les deux puissances travaillaient en étroite
collaboration sur les questions militaires et de renseignement. La
Maison-Blanche chargea Frank Wisner [22], directeur de l’Office of
Policy Coordination (OPC), le bureau de coordination politique des
opérations spéciales de la CIA, d’établir des armées secrètes
stay-behind dans toute l’Europe de l’Ouest, avec l’aide de la
Special Operations Branch du MI6, dirigée par le colonel Gubbins.
Comme l’expliquent Roger Faligot et Rémi Kauffer, deux historiens
français spécialistes des services secrets, la CIA et le MI6 se
chargèrent dans un premier temps de « neutraliser les dernières
unités clandestines des puissances de l’Axe en Allemagne, en
Autriche et dans le Nord de l’Italie » puis d’enrôler certains
membres des factions fascistes vaincues dans leurs nouvelles armées
secrètes anticommunistes. « Et c’est ainsi que, par
l’intermédiaire de l’OPC de la CIA et de la SOB du SIS, les
services secrets des grandes démocraties qui venaient de gagner la
guerre tentèrent ensuite de 'retourner' certains de leurs commandos
contre leur ancien allié soviétique. » [23]
Parallèlement
au MI6 et à la CIA et à leurs départements des opérations
spéciales respectifs, le SOB et l’OPC, une coopération fut
également établie entre les Forces Spéciales des armées
britanniques et américaines. Les SAS et les Bérets Verts
américains, spécialement entraînés pour effectuer des missions
secrètes en territoire ennemi, menèrent conjointement de nombreuses
opérations durant la Guerre froide, au nombre desquelles figure la
formation des armées secrètes stay-behind. Les anciens
officiers de la Marine Royale Giles et Preston qui avaient mis en
place le Gladio autrichien relatèrent que les recrues étaient
envoyées au Fort Monckton, un bâtiment datant des guerres
napoléoniennes situé sur le front de mer près de Portsmouth, en
Angleterre, où ils s’entraînaient aux côtés des SAS, sous la
direction du MI6. Ils avaient personnellement pris part à ces
exercices Gladio et avaient été initiés à l’utilisation des
codes secrets, au maniement des armes et aux opérations clandestines
[24] Decimo Garau fut l’une de ces recrues formées par le SAS
britannique avant de devenir instructeur au Centro Addestramento
Guastatori (CAG), une base du Gladio italien située à Capo
Marragiu, en Sardaigne. « Je fus invité à passer une
semaine à Poole, en Angleterre, pour m’entraîner avec les Forces
Spéciales », confirma l’instructeur Garau après les révélations
sur l’existence de Gladio, en 1990. « J’ai effectué un saut en
parachute au-dessus de la Manche. J’ai participé à leur
entraînement, ça s’est très bien passé entre nous. Ensuite, on
m’a envoyé à Hereford pour préparer et effectuer des exercices
avec les SAS. » [25]
À
cette époque, les Britanniques étaient les plus expérimentés en
matière d’opérations secrètes et de guerre non conventionnelle.
Leurs Forces Spéciales, les SAS, avaient été créées en Afrique
du Nord en 1942 avec pour mission de frapper loin derrière les
lignes ennemies. Les plus dangereux adversaires des SAS britanniques
étaient sans nul doute la SS allemande fondée dès avant la Seconde
Guerre mondiale et commandée par Heinrich Himmler. Comme toutes les
Forces Spéciales, la SS était une unité combattante d’élite
avec ses insignes - un uniforme noir bien sanglé, orné d’une tête
de mort et d’une dague couleur argent - et convaincue de sa
supériorité sur tous les corps de l’armée régulière, ses
éléments se taillèrent d’ailleurs très vite une réputation de
« tueurs fanatiques ». Suite à la défaite de l’Allemagne nazie,
les Forces Spéciales de la SS furent considérées comme une
organisation criminelle et dissoute par le Tribunal de Nuremberg en
1946.
Après
la victoire, le SAS fut lui aussi démantelé en octobre 1945.
Cependant, la nécessité de mener des coups tordus et des missions
périlleuses croissant à mesure que l’influence de la
Grande-Bretagne dans le monde s’étiolait, le SAS fut restauré et
envoyé pour se battre derrière les lignes ennemies, notamment en
Malaisie en 1947. Depuis leur quartier général de Hereford surnommé
« la Nursery », les SAS préparèrent de nombreuses missions dans
la plus grande discrétion comme, par exemple, celle effectuée en
1958 à la demande du sultan d’Oman, dans le cadre de laquelle ils
contribuèrent à réprimer une guérilla marxiste en rébellion
contre la dictature du régime. L’opération devait garantir le
financement du service à l’avenir puisque, comme le comprit un
officier du SAS, ils prouvèrent qu’ils « pouvaient être
aéroportés vers une zone de trouble rapidement et discrètement et
opérer dans un endroit reculé en toute confidentialité, un atout
très apprécié du gouvernement conservateur de l’époque ». [26]
Si leur fait d’armes le plus célèbre reste l’assaut de
l’ambassade d’Iran à Londres, en 1980, ils furent également
actifs pendant la guerre des Malouines en 1982. Le déploiement de
forces le plus massif des SAS depuis la Seconde Guerre mondiale eut
lieu pendant la guerre du Golfe en 1991. En 1999, ils collaborèrent
une fois de plus avec les Bérets Verts pour entraîner et équiper
l’armée de Libération du Kosovo avant et pendant les
bombardements de l’OTAN sur la province alors contrôlée par les
Serbes.
Le
député conservateur Nigel West souligna à juste titre que, à
l’instar des Bérets Verts : « Le SAS britannique aurait joué un
rôle stratégique dans l’Opération Gladio si les Soviétiques
avaient envahi l’Europe de l’Ouest », sous-entendant ainsi
l’implication du service auprès des armées stay-behind d’Europe
[27]. Les deux unités d’élite collaboraient étroitement. Preuve
de cette entente, les membres des Forces Spéciales états-uniennes
portèrent à partir de 1953 le fameux béret vert emprunté à
l’uniforme de leurs modèles britanniques. Le port de ce
couvre-chef « étranger » contraria de nombreux hauts gradés de
l’armée US. C’est seulement quand le président Kennedy,
lui-même grand partisan des opérations secrètes et des Forces
Spéciales, l’approuva lors d’une visite à Fort Bragg, le
quartier général des commandos états-uniens, en octobre 1961, que
le béret fut officiellement adopté aux États-Unis pour devenir
rapidement l’emblème du plus prestigieux des commandos du pays.
L’admiration des États-uniens pour l’illustre et glorieux SAS
perdura de nombreuses années, ils avaient même coutume d’appeler
le quartier général de Hereford la « Maison
Mère » et les officiers formés en
Grande-Bretagne jouissaient d’un certain prestige à leur retour
aux États-Unis. De leur côté, les Britanniques veillaient
également à entretenir cette alliance, en 1962, ils nommèrent
d’ailleurs le commandant des Bérets Verts, le général de
division William Yarborough, membre honoraire du SAS.
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Lady
Thatcher a projeté le SOE jusqu'au Cambodge où il a formé et
encadré les Khmers rouges. Ceux-ci ont alors massacré 1,5 million
de personnes, en priorité les intellectuels parlant le français.
Deux
ans avant qu’éclate l’affaire Gladio, en 1988, la BBC dévoila
l’existence d’une coopération entre les Forces Spéciales
états-uniennes et britanniques. Dans un documentaire intitulé The
Unleashing of Evil, elle révéla au public comment le SAS et les
Bérets Verts n’avaient pas hésité à torturer leurs prisonniers
au cours de chacune de leurs campagnes menées depuis 30 ans au
Kenya, en Irlande du Nord, à Oman, au Vietnam, au Yémen, à Chypre
et dans d’autres pays. Luke Thomson, un ancien officier membre des
Bérets Verts, expliquait devant la caméra que les troupes d’élites
états-uniennes et britanniques suivaient à Fort Bragg un programme
d’entraînement commun. Sur quoi, Richard Norton Taylor, qui
réalisait le documentaire et se distingua deux ans plus tard par ses
investigations sur l’affaire Gladio, conclut que la cruauté « est
finalement plus répandue et plus ancrée dans notre nature que nous
aimons à le croire ». [28] Lors d’une autre opération
top secret, les Bérets Verts entraînèrent également les escadrons
Khmers Rouges qui participèrent au génocide cambodgien, après que
le contact eut été établi par Ray Cline, haut responsable de la
CIA et conseiller spécial du président Ronald Reagan. Quand éclata
l’affaire de l’Irangate en 1983, le président Reagan, qui
voulait à tout prix éviter un nouveau scandale, demanda au Premier
ministre britannique Margaret Thatcher de prendre le relais, elle
envoya donc les SAS au Cambodge pour entraîner les troupes de Pol
Pot. « Nous nous sommes d’abord rendus en Thaïlande en 1984 »,
témoignèrent par la suite des officiers du SAS, « on
travaillait avec les Yankees, on était très proches, comme des
frères. Ils n’aimaient pas ça plus que nous. On a appris un tas
de trucs techniques aux Khmers Rouges, se souvient l’officier. Au
début, ils voulaient simplement entrer dans les villages et découper
les gens à la machette. On leur a dit de se calmer. » Les SAS
n’étaient visiblement pas très à l’aise dans cette mission : «
On aurait été nombreux à changer de camp à la première occasion.
On était tellement dégoûtés. On détestait tellement être
associés à Pol Pot. Je vous assure : on est des soldats, pas des
tueurs d’enfants. » [29]
«
Mon expérience des opérations secrètes m’a appris qu’elles ne
le restaient jamais longtemps », dit avec un sourire le maréchal
Lord Carver, chef de l’état-major et futur commandant en chef de
la Défense britannique, une remarque qui pourrait fort bien
s’appliquer à Gladio. « Une fois que vous avez mis un doigt dans
l’engrenage, il y a un risque que les Forces Spéciales commencent
à agir selon leurs propres règles, comme le firent les Français en
Algérie et peut-être plus récemment dans l’affaire du Rainbow
Warrior en Nouvelle-Zélande », au cours de laquelle le Service de
Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE) avait, le
10 août 1985, coulé le navire de Greenpeace qui tentait alors de
s’opposer aux essais nucléaires français dans le Pacifique [30]
L’engrenage désignait bien sûr aussi les agissements des SAS en
Irlande du Nord où ils étaient considérés comme des terroristes
ni plus ni moins par les républicains irlandais. « Il y a de bonnes
raisons de penser », accusaient leurs opposants, « que, même du
point de vue britannique, le SAS posa en réalité plus de problèmes
en Irlande du Nord qu’il ne permit d’en résoudre. » [31]
Quand
éclata le scandale Gladio en 1990, la presse britannique observa
qu’il était « à présent établi que le Special Air Service
(SAS) était mêlé jusqu’au cou dans le projet de l’OTAN et
qu’il avait servi, avec le MI6, à former des guérilleros et des
saboteurs ». Les journaux du pays parlèrent notamment d’une
« unité stay-behind italienne formée en Grande-Bretagne. Tout
semble indiquer que cela a duré jusqu’au milieu des années
quatre-vingt (...) il a été prouvé que les SAS ont aménagé dans
la zone allemande sous occupation britannique des caches où étaient
entreposées des armes. » [32] Les informations les plus
précieuses sur le rôle joué par le Royaume-Uni ont été fournies
par l’enquête parlementaire suisse sur l’armée secrète
stay-behind helvétique P26. « Les services secrets britanniques ont
collaboré étroitement avec une organisation clandestine armée,
P26, dans le cadre d’une série d’accords secrets liant un réseau
européen de groupes de 'résistants' », révéla un quotidien à
une population suisse abasourdie et convaincue de la neutralité de
son pays. Le juge Cornu qui fut chargé d’enquêter sur l’affaire
décrivit dans son rapport « la collaboration entre le groupe [P26]
et les services secrets britanniques comme 'intense', ces derniers
ayant apporté leur précieux savoir-faire. Selon le rapport, les
cadres du P26 ont participé à des exercices réguliers au
Royaume-Uni. Les conseillers britanniques, peut-être du SAS, ont
visité des camps d’entraînement secrets en Suisse. » Ironie du
sort, les Britanniques en savaient plus sur l’armée secrète
suisse que les Suisses eux-mêmes, parce que « les activités du
P26, ses codes, et le nom du chef du groupe, Efrem Cattelan, étaient
connus des services anglais tandis que le gouvernement helvétique
était maintenu dans l’ignorance, précise le rapport. Il affirme
que les documents relatifs aux accords secrets conclus entre les
Britanniques et le P26 n’ont jamais été retrouvés. » [33]
Pendant
les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt, les Gladiateurs
suisses furent formés au Royaume-Uni par les instructeurs des Forces
Spéciales britanniques. D’après Aloïs Hürlimann, instructeur
militaire et vraisemblablement ancien membre du Gladio suisse, cet
entraînement incluait des opérations non simulées contre des
activistes de l’IRA, probablement en Irlande du Nord. Hürlimann
laissa échapper ces révélations au cours d’une conversation dans
le cadre d’un cours d’anglais. Dans une langue approximative, il
expliqua comment, en mai 1984, il avait pris part à des exercices
secrets en Angleterre, qui comportaient la prise d’assaut réelle
d’un dépôt de munitions de l’IRA. Hürlimann ajouta avoir
personnellement participé à cette mission, en tenue de camouflage,
et avoir constaté la mort d’au moins un des membres de l’IRA
[34].
Chose
intéressante, l’enquête du juge Cornu permit de découvrir, en
1991, la présence, quelque part en Angleterre du centre de
commandement et de communications de Gladio, équipé du système
Harpoon si caractéristique. En 1984, un « Accord de Coopération »,
complété trois ans plus tard par un « Mémorandum sur l’Assistance
Technique », faisait explicitement état de « centres
d’entraînement en Grande-Bretagne, [de] l’installation d’un
centre de transmission suisse en Angleterre et,[ de] la coopération
des deux services sur les questions techniques ». Malheureusement,
comme le déplore le juge Cornu, « nous ne sommes parvenus à
retrouver ni l’'Accord de Coopération' ni le 'Mémorandum sur
l’Assistance Technique' ». La personne responsable à l’UNA, les
services secrets militaires suisses, déclara qu’il les avait dû «
les transmettre aux services secrets britanniques en décembre 1989
pour des raisons inconnues, sans en conserver la copie » [35] « Les
cadres de l’organisation suisse considéraient les Britanniques
comme les meilleurs spécialistes en la matière », précise le
rapport du gouvernement de Berne [36].
Après
la découverte des armées secrètes fin 1990, un ancien responsable
du renseignement de l’OTAN qui resta anonyme prétendit qu’« il
y avait une division du travail entre le Royaume-Uni et les USA, les
premiers se chargeant des opérations en France, en Belgique, aux
Pays-Bas, au Portugal et en Norvège tandis que les Américains
s’occupaient de la Suède, de la Finlande et du reste de l’Europe
» [37]. Cette séparation des tâches n’alla pas sans mal dans
tous les pays, comme le montre l’exemple italien. Le 8 novembre
1951, le général Umberto Broccoli, l’un des premiers directeurs
du SIFAR, les services secrets militaires italiens, écrivit au
ministre de la Défense Efisio Marras afin d’évoquer les questions
relatives au réseau stay-behind et à l’entraînement des
Gladiateurs. Broccoli expliquait que les Britanniques avaient déjà
créé des structures semblables aux Pays-Bas, en Belgique et «
vraisemblablement aussi au Danemark et en Norvège ». Le général
était heureux de confirmer que la Grande-Bretagne « se propose de
nous faire profiter de sa grande expérience » tandis que les
États-uniens ont « offert de contribuer activement à notre
organisation en fournissant des hommes, du matériel (gratuit ou
presque) et peut-être même des fonds ». Broccoli soulignait
combien il serait judicieux d’envoyer 7 officiers italiens triés
sur le volet suivre un entraînement spécial en Angleterre entre
novembre 1951 et février 1952 car ces officiers pourraient ensuite
transmettre leur expérience aux Gladiateurs italiens. Le chef des
services secrets militaires Broccoli demandait au ministre de la
Défense Marras « de donner son approbation à ce programme parce
que, même si les Britanniques l’ignorent, je me suis entendu avec
les services secrets américains pour que l’Italie s’y engage »
[38]
La
formation Gladio fournie par les Britanniques n’était pas
gratuite, il s’agissait en fait d’un commerce lucratif ; Broccoli
reconnaissait que l’« on peut s’attendre à un coût total
d’environ 500 millions de lires qui ne peuvent être pris sur le
budget du SIFAR et qui devraient être compris dans celui des Forces
armées » [39]. Comme l’indiquait le général italien, le MI6
avait offert d’entraîner les officiers du Gladio italien à
condition que l’Italie commande de l’armement à la
Grande-Bretagne. Dans le même temps, cependant, la CIA, dans ce qui
ressemble fort à une tentative pour étendre sa sphère d’influence,
proposait de fournir gratuitement le Gladio en armes. Au bout du
compte, les Italiens choisirent de ne pas choisir : ils envoyèrent
leurs officiers recevoir la prestigieuse instruction des centres
d’entraînement britanniques et conclurent simultanément avec les
États-Unis un accord secret qui leur garantissait un
approvisionnement gratuit en armes. Cela ne plut pas aux
Britanniques. Lorsque le général Ettore Musco, qui succéda à
Broccoli à la tête du SIFAR se rendit en Angleterre pour visiter le
Fort Monckton, l’accueil fut particulièrement froid : «
En 1953, les Britanniques, furieux de s’être fait rouler,
reprochèrent au général Musco que 'son service se soit livré
corps et âme aux Américains' » [40].
L’Italie
ne fut pas le seul théâtre de cette lutte entre la CIA et le MI6
pour accroître leurs sphères d’influence respectives. Fin 1990,
ayant appris l’existence du réseau secret, le ministre de la
Défense belge Guy Coëme expliqua que « les relations entre les
services du renseignement britannique et belge remontaient aux
contacts établis par M. Spaak et le chef des services de
renseignement du Royaume-Uni [Menzies] et à un arrangement conclu
entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Belgique » [41] Ce
ménage à trois avait aussi ses inconvénients, le MI6 et la CIA
voulant tous deux s’assurer que la Belgique ne privilégierait pas
l’un au détriment de l’autre. Le patron du MI6 Steward Menzies
écrivit alors au Premier ministre belge de l’époque Paul Henri
Spaak une lettre datée du 27 janvier 1949 : « J’ai eu le plaisir
de pouvoir m’entretenir personnellement avec vous de certains
sujets concernant nos pays respectifs que je considère comme
primordiaux et qui m’ont particulièrement préoccupé ces derniers
temps ». À la suite de quoi, Menzies insistait sur la nécessité
d’intensifier la collaboration « sur la question du Kominform et
de possibles activités hostiles » et de commencer « à concevoir
des organisations de renseignement et d’action utiles en cas de
guerre ». Plus précisément, « certains officiers devraient se
rendre au Royaume-Uni dans les mois qui viennent afin d’étudier,
en collaboration avec mes services, les aspects concrets de ces
questions ». Très inquiet à l’idée que Spaak préfère
traiter avec la CIA plutôt qu’avec le MI6, Menzies souligna qu’il
avait « toujours considéré la participation des États-uniens à
la défense de l’Europe de l’Ouest comme capitale » mais qu’il
restait convaincu que « les efforts de tous, y compris ceux des
Américains, doivent s’inscrire dans un ensemble cohérent. Par
conséquent, si les États-Unis devaient poursuivre, conjointement
avec [les services belges], des préparatifs en vue de faire face à
une guerre, [il jugeait] essentiel que ces activités soient
coordonnées avec les [siennes] » et savait qu’il pouvait compter
sur la compréhension du Premier ministre belge.
À
la suite de quoi, Menzies évoquait le CCWU, le Comité Clandestin de
l’Union Occidentale, créé en 1948 et qui dirigea les opérations
de guerre non conventionnelle, jusqu’à ce que soit signé, en
1949, le Traité de l’Atlantique Nord et que l’OTAN prenne alors
en charge la coordination du réseau Gladio. « Une telle coopération
», insistait le Britannique dans sa lettre à Spaak, « permettra
avant tout d’éviter des complications avec les chefs de
l’état-major de l’Union occidentale. J’ai d’ores et déjà
indiqué au chef des services américains que je suis prêt à
élaborer des plans pour établir le cadre d’une coopération
approfondie avec lui sur cette base, c’est pourquoi je suggère que
tous les projets formulés par eux soient soumis à Washington avant
d’être discutés à Londres par les services américains et
britanniques. » Menzies faisait également remarquer que le Gladio
belge devait s’équiper et précisait à ce sujet : « Les demandes
en formation et en matériel devront bientôt être formulées. J’ai
déjà ordonné la construction de certaines installations destinées
à l’entraînement des officiers et de personnes recommandées par
la direction de vos services secrets et je serai en mesure de vous
procurer les équipements actuellement en cours de production (comme
les talkies-walkies) qui seront nécessaires aux opérations
clandestines dans un futur proche. » Selon le patron du MI6, une
partie de ce matériel pourrait être fournie gracieusement au Gladio
belge tandis qu’une autre devait être achetée : « Ces
équipement spécialisés pourront être cédés ou loués mais, en
ce qui concerne le matériel plus traditionnel (comme des armes
légères ou d’autres fournitures militaires), je suggère que les
tarifs fassent l’objet de négociations à l’amiable entre les
services belges et britanniques ». Il va sans dire que la mise en
place du Gladio belge devait se faire dans le plus grand secret,
cependant, Menzies précisait tout de même à la fin de sa lettre :«
Je sais qu’il est inutile de vous rappeler que ce courrier doit
rester hautement confidentiel et ne saurait être divulgué à un
tiers sans nos consentements respectifs préalables » [42]
Deux
semaines plus tard environ, Spaak répondit à Menzies par une autre
lettre dans laquelle il se réjouissait de recevoir l’aide des
Britanniques tout en indiquant que les États-uniens avaient
également approché les autorités belges à ce sujet et qu’il
jugeait donc préférable que Washington et Londres règlent d’abord
le problème entre elles. « Je conviens tout à fait », écrivait
le Premier ministre belge, « qu’une collaboration des trois
services (britanniques, américains et belges) serait extrêmement
profitable. » Conscient de la concurrence opposant la CIA et le MI6,
Spaak ajoutait : « Si des deux services, américain et belge, l’un
venait à rejeter cette collaboration, les services belges se
trouveraient dans une situation extrêmement délicate et difficile.
C’est pourquoi il me semble que des négociations s’imposent au
plus haut niveau entre Londres et Washington afin de régler cette
question. » [43]
En
Norvège, le patron des services secrets Vilhelm Evang fut l’artisan
à la fois de la fondation du réseau stay-behind et de la création
de la première agence de renseignement du pays, le Norwegian
Intelligence Service ou NIS. Ce diplômé de sciences originaire
d’Oslo avait rejoint le petit noyau chargé du renseignement au
sein du gouvernement norvégien exilé à Londres en 1942. De retour
dans son pays, Evang qui avait établi d’excellentes relations avec
les Britanniques fonda en 1946 le NIS qu’il dirigera pendant 20
ans. Les écrits du Norvégien nous apprennent qu’il rencontra en
février 1947 un officier du MI6 britannique dont nous ignorons le
nom mais « bien introduit dans les hautes sphères de l’armée et
de la Défense. Les inquiétudes des Anglais les ont amenés à
s’intéresser de près aux stratégies de défense dans les pays
sous occupation ennemie. Il semble que les Pays-Bas, la France et la
Belgique soient engagés dans des processus d’installation de
structures nécessaires à une armée clandestine. » [44]
Dans
la Suède voisine et supposée neutre, les Britanniques, avec l’aide
de la CIA, jouèrent un rôle prépondérant dans la formation des
dirigeants du Gladio local. C’est ce que révéla Reinhold Geijer,
un ancien militaire de carrière suédois qui avait été recruté en
1957 par le réseau Gladio local et qui en commanda une division
régionale pendant plusieurs décennies. En 1996, Geijer, qui
allait alors sur ses 80 ans, raconta devant les caméras de la chaîne
suédoise TV 4 comment les Britanniques l’avaient initié aux
opérations clandestines en Angleterre. « En 1959, après une escale
à Londres, je me rendis dans une ferme dans la campagne près
d’Eaton. Mon voyage s’effectuait dans la plus absolue
confidentialité, j’utilisais par exemple un faux passeport. Je
n’étais même pas autorisé à téléphoner à ma femme »,
témoignait Geijer. « Le but de cet entraînement était d’apprendre
à utiliser des techniques boîtes aux lettres mortes pour recevoir
et envoyer des messages secrets, et d’autres exercices à la James
Bond. Les Britanniques étaient particulièrement exigeants. J’avais
parfois l’impression qu’on en faisait trop. » [45]
Tandis
que les armées secrètes étaient découvertes dans toute l’Europe
de l’Ouest fin 1990 et que les projecteurs étaient braqués sur
l’Angleterre et sur le rôle qu’elle avait joué en sous-main, le
gouvernement de John Major refusait obstinément de s’exprimer. «
Nous ne parlons pas des questions relatives à la Sécurité
nationale », répondaient inlassablement les porte-parole aux
questions virulentes des journalistes britanniques [46] Le Parlement
britannique ne vit pas la nécessité d’ouvrir un débat public ou
une enquête officielle sur le sujet, inspirant, à l’été 1992,
cette critique du journaliste Hugh O’Shaughnessy : « Le silence de
Whitehall et l’absence quasi-totale de curiosité dont ont fait
preuve les parlementaires sur une affaire dans laquelle la
Grande-Bretagne est si profondément impliquée sont extraordinaires
» [47] La BBC se chargea donc de conclure que : « Le rôle
joué de la Grande-Bretagne dans la création d’armées stay-behind
à travers l’Europe [avait été] fondamental ». Dans son édition
du soir du 4 avril 1991, la chaîne insista sur la dimension
criminelle des armées secrètes et déclara : « Le masque est
tombé, il cachait bien des horreurs ».
La
BBC découvrit que parallèlement à leur fonction stay-behind, les
armées secrètes s’étaient également livrées à une entreprise
de manipulation politique : « À l’image du glaive antique,
l’histoire du Gladio moderne est à double tranchant ». Le
documentaire posait toute une série de questions : « Le Gladio
était-il, avec ses réserves secrètes d’armes et d’explosifs
utilisés par ses inspirateurs, [un instrument] de subversion interne
contre la gauche ? Les agents de l’État se sont-ils rendus
coupables d’attentats terroristes ? » Et quel fut le rôle exact
de la Grande-Bretagne ? Le parlementaire italien Sergio de Julio
déclarait face aux caméras : « Nous avons des preuves attestant
que, dès la création de Gladio, des officiers furent envoyés en
Angleterre pour suivre un entraînement. Ils étaient chargés de
constituer les premiers noyaux de l’organisation Gladio. C’est
donc bien la preuve, disons, d’une coopération entre le
Royaume-Uni et l’Italie. » [48]
Le
journaliste de la BBC Peter Marshall interrogeait ensuite le général
italien Gerardo Serravalle, qui avait dirigé le Gladio italien entre
1971 et 1974, sur le rôle joué par les Britanniques. Serravalle
confirma l’existence d’une collaboration étroite : « J’ai
invité [les Britanniques] car nous avions été conviés à visiter
leurs bases en Angleterre - les infrastructures stay-behind - je leur
ai donc rendu la politesse ». Marshall lui demanda alors : « Où se
trouve le centre du réseau britannique ? », ce à quoi le général
italien répondit : « Je suis désolé mais je ne vous le révèlerai
pas, car cela relève du secret-défense de votre pays ». Puis, le
journaliste posa une question à laquelle il pouvait raisonnablement
espérer une réponse : « Mais étiez-vous impressionné par les
Britanniques ? », ce à quoi Serravalle répondit par l’affirmative
: « Oui, nous l’étions car c’est [sic] très efficace,
extrêmement bien organisé et qu’il y avait d’excellents
éléments » [49]
Un
an plus tard, la BBC s’intéressa à nouveau à l’affaire Gladio
en diffusant une excellente série de trois documentaires d’Allan
Francovich consacrés au sujet. Le réalisateur n’en était pas à
son coup d’essai puisque c’est lui qui, en 1980, avait remporté
le prix de la critique internationale du Festival de Berlin pour son
film On Company Business, qui révélait le côté obscur de la CIA.
Après son enquête sur Gladio, il réalisa The Maltese Double Cross
où il démontrait les connections entre le crash du vol 103 de la
PanAm près de Lockerbie en 1988 et la destruction par erreur la même
année d’un appareil d’Iran Air par le vaisseau états-unien USS
Vincennes. « Très rares sont ceux qui luttent inlassablement pour
la vérité, quitte à se mettre personnellement en danger, comme le
fit Francovich », rappela Tam Dalyell après la mort de son ami,
décédé d’une crise cardiaque dans des circonstances troubles,
dans la zone d’attente de l’aéroport de Houston, le 17 avril
1997 [50].
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Sir
John Sawers a dirigé la guerre secrète en Bosnie, au Kosovo, en
Afghanistan et en Irak. Directeur du MI6 depuis 2009, il commande les
opérations stay-behind en Europe.
Reposant
principalement sur des entretiens, les documentaires réalisés par
Francovich pour la BBC se consacraient presque exclusivement aux
réseaux Gladio belge et italien. Ils comportaient les témoignages
d’acteurs aussi importants que Licio Gelli, chef du P2, l’activiste
extrême droite Vincenzo Vinciguerra, le juge vénitien et «
découvreur » du Gladio Felice Casson, le général Gerardo
Serravalle, commandant du Gladio italien, le sénateur Roger
Lallemand, qui présida la commission d’enquête parlementaire
belge, Decimo Garau, ancien instructeur de la base de Gladio en
Sardaigne, l’ex-directeur de la CIA William Colby et Martial Lekeu,
un ancien membre de la Gendarmerie belge, pour ne citer qu’eux
[51].
«
Toute l’entreprise stay-behind ne visait, selon moi, qu’à
garantir que si le pire se produisait, si un parti communiste
accédait au pouvoir, il se trouverait des agents pour nous en
avertir, pour suivre de près les événements et nous les rapporter
», expliquait Ray Cline, directeur adjoint de la CIA de 1962 à
1966, devant la caméra de Francovich. « Il est probable que des
groupuscules d’extrême droite furent recrutés et intégrés au
réseau stay-behind afin de pouvoir nous prévenir si une guerre se
préparait. Dans cette optique, l’utilisation d’extrémistes de
droite, à des fins de renseignement et non politiques, me semble ne
poser aucun problème », poursuivait Cline [52] Le lendemain, on
pouvait lire dans la presse anglaise : « C’était l’un de ces
scandales dont on pense qu’il peut faire tomber un gouvernement,
mais, l’amnésie des téléspectateurs étant ce qu’elle est, il
n’en reste qu’un entrefilet dans les journaux du lendemain »
[53].
Daniele
Ganser
Cet
article constitue le quatrième chapitre des Armées secrètes de
l'OTAN
©
Version française : éditions Demi-lune (2007).
[1]
Denna Frank Fleming, The Cold War and its Origins 1917–1960 (New
York, 1961), p.4.
[2]
Voir Fleming : Cold War.
[3]
Chiffres indiqués par Andrew Wilson, Das Abrüstungshandbuch :
Analysen, Zusammenhänge, Hintergründe (Hoffmann und Campe,
Hambourg, 1984), p.38. Pertes américaines : 300 000 soldats tués,
600 000 blessés. Aucune victime civile. Bilan total des morts de la
Seconde Guerre mondiale : 60 millions (ibid.).
[4]
Valentin Falin, Zweite Front. Die Interessenkonflikte in der
Anti-Hitler-Koalition (Bömer Knaur, Munich, 1995).
[5]
Mackenzie, W. J. M., History of the Special Operations Executive :
Britain and the resistance in Europe (British Cabinet Office,
Londres, 1948), p.1153 and 1155. L’original du Bureau des Archives
Publiques de Londres n’a toujours pas été publié, il le sera
prochainement chez Frank Cass.
[6]
Mackenzie, Special Operations Executive, p.2.
[7]
Un vétéran du SOE, le lieutenant-colonel Holland, « un agent doté
d’une expérience en matière d’opérations clandestines en
Irlande et en Inde ... et d’une conviction profonde de leur utilité
et de leur intérêt ». Extrait de Mackenzie, Special Operations
Executive, p.9.
[8]
Parallèlement à la section D du MI6, deux autres organisations de
subversion furent fondées en 1938. L’une était rattachée au haut
commandement du ministère de la Guerre : le GS(R), plus tard
rebaptisé MI(R), qui se consacrait à l’études des techniques de
guerre non-conventionnelle. La seconde, baptisée EH d’après le
nom du bâtiment abritant son quartier général londonien, Electra
House, était spécialisée dans la propagande « noire » (anonyme)
en Europe. Voir David Stafford, Britain and European Resistance
1940–1945 : A survey of the Special Operations Executive (St
Antony’s College, Oxford, 1980), p.19–21.
[9]
Tony Bunyan, The History and Practice of the Political Police in
Britain (Quartet Books, Londres, 1983), p.265.
[10]
Peter Wilkinson, Foreign Fields : The Story of an SOE Operative
(London Tauris Publishers, Londres, 1997), p.100.
[11]
Imperial War Museum London, visité par l’auteur en mai 1999.
[12]
Wilkinson, Fields, p.101.
[13]
Stafford, Resistance, p.20.
[14]
Lettre du ministre Hugh Dalton au ministre des Affaires étrangères
Halifax datée du 2 juillet 1940. Extrait de M. R. D. Foot, An
outline history of the Special Operations Executive 1940–1946
(British Broadcasting Cooperation, Londres, 1984), p.19.
[15]
« Background Document File N°0391 : GLADIO », Statewatch, Janvier
1991. Sur le rôle de Gubbins, voir également le périodique belge
Fire ! Le Magazine de l’Homme d’Action, septembre/ octobre 1991,
p.77.
[16]
E. H. Cookridge, Inside SOE. The Story of Special Operations in
Western Europe 1940–45 (Arthur Barker Limited, Londres, 1966),
p.13.
[17]
Mackenzie, Special Operations Executive, p.1152.
[18]
Ibid., p.1153 and 1155.
[19]
Stafford, Resistance, épilogue p.203.
[20]
Frans Kluiters, De Nederlandse inlichtingen en veiligheidsdiensten
(1993), p.309.
[21]
Stafford, Resistance, conclusion p.211.
[22]
Frank Wisner est le père de Frank Wisner Jr., lui même beau-père
par alliance de Nicolas Sarkozy, Ndlr.
[23]
Roger Faligot et Rémi Kauffer, Les maîtres espions. Histoire
mondiale du renseignement. Volume 2. De la Guerre froide à nos jours
(Editions Laffont, Paris, 1994), p.53.
[24]
Michael Smith, New Cloak, Old Dagger : How Britain’s Spies Came in
from the Cold (Gollancz, Londres, 1996), p.117. Basé sur des
entretiens avec Simon Preston le 11 octobre 1995 et Michael Giles le
25 octobre 1995.
[25]
Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des trois
documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé sur BBC2
le 10 juin 1992.
[26]
Michael de la Billiere, Looking for Trouble : SAS to Gulf Command -
The Autobiography (HarperCollins, Londres, 1994), p.150. Cette
autobiographie de Billière comporte le récit de son expérience au
SAS.
[27]
Agence de presse internationale Associated Press, 14 novembre 1990.
[28]
The Unleashing of Evil, réalisé par Richard Norton Taylor, qui
couvrit les révélations de 1990 sur Gladio pour le Guardian.
Diffusé le 29 juin 1988 sur la BBC. Révélation du Guardian le même
jour : « ‘British soldiers used torture’ ».
[29]
Un officier du SAS à l’éminent journaliste d’investigation John
Pilger. Quotidien britannique The Guardian, du 16 octobre 1990. En
1986, l’avocat au Congrès Jonathan Winer révéla que les USA
avaient financé Pol Pot à hauteur de 85 millions de dollars entre
1980 et 1986 selon la logique voulant que les ennemis de mes ennemis
sont mes amis, provoquant la fureur de l’administration Reagan.
(John Pilger dans le quotidien britannique The Guardian, 6 octobre
1990). L’embarras était comparable en Grande-Bretagne. En 1990, le
Premier ministre Margaret Thatcher nia toute implication britannique
dans la formation des escadrons de Khmers rouges, malgré les
témoignages apportés par des officiers du SAS. En 1991, au cours
d’un procès en diffamation intenté impliquant John Pilger, le
ministère de la Défense dut finalement reconnaître que la
Grande-Bretagne avait contribué à l’entraînement des partisans
des Khmers rouges (Le quotidien britannique The Guardian du 20 avril
1993).
[30]
Joseph Paul de Boucherville Taillon, International Cooperation in the
Use of elite military forces to counter terrorism : The British and
American Experience, with special reference to their respective
experiences in the evolution of low intensity operations (1992),
p.200 (Thèse de doctorat à la London School of Economics and
Political Science, non publiée). Lettre de Carver à Boucherville
Taillon, datée du 24 décembre 1985.
[31]
Périodique britannique Lobster, décembre1995.
[32]
Mensuel britannique Searchlight, janvier 1991.
[33]
Richard Norton-Taylor, « UK trained secret Swiss force » dans le
quotidien britannique The Guardian du 20 septembre 1991.
[34]
Urs Frieden, « Die England Connection. PUK EMD : P26 Geheimarmist
Hürlimann im Manöver » dans l’hebdomadaire suisse Wochenzeitung,
30 novembre 1990.
[35]
Schweizer Bundesrat : Schlussbericht in der Administrativuntersuchung
zur Abklärung der Natur von allfälligen Beziehungen zwischen der
Organisation P26 und analogen Organisationen im Ausland. Kurzfassung
für die Oeffentlichkeit. 19 septembre 1991, p.4–5.
[36]
Ibid., p.2.
[37]
Périodique britannique Searchlight, janvier 1991.
[38]
La lettre de Broccoli datée du 1er octobre 1951 et intitulée
Organizzazione informativa operativa nel territorio nazionale
suscettibile di occupazione nemica est un document essentiel dans
l’affaire Gladio. La commission parlementaire italienne y fait
référence. On y trouve un bon résumé dans Mario Coglitore, La
notte dei Gladiatori. Omissioni e silenzi della Repubblica (Calusca
Edizioni, Padoue, 1992), p.132–133. Le magazine politique italien
Espresso, qui s’est procuré le document original, en cite de
nombreux passages dans son édition du 18 janvier 1991.
[39]
Coglitore, Gladiatori, p.133.
[40]
Pietro Cedomi, « Service secrets, guerre froide et ‘stay-behind.
2e partie’ : La mise en place des réseaux » dans le périodique
belge Fire ! Le Magazine de l’Homme d’Action, septembre/octobre
1991, p.80.
[41]
Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des trois
documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé le 10 juin
1992 sur BBC2.
[42]
Enquête parlementaire sur l’existence en Belgique d’un réseau
de renseignements clandestin international, rapport fait au nom de la
commission d’enquête par MM. Erdman et Hasquin. Document Sénat,
session de 1990–1991. Bruxelles, p.212–213.
[43]
Ibid., p.213. Également cité dans le quotidien britannique The
Observer du 7 juin 1992.
[44]
Extrait de Olav Riste, The Norwegian Intelligence Service 1945–1970
(Frank Cass, Londres, 1999), p.16.
[45]
Thomas Kanger et Oscar Hedin, « Erlanders hemliga gerilla. I ett
ockuperat Sverige skulle det nationella motstandet ledas fran Äppelbo
skola i Dalarna » dans le quotidien suédois Dagens Nyheter du 4
octobre 1998.
[46]
Quotidien britannique The Guardian du 14 novembre 1990.
[47]
Hugh O’Shaughnessy, « Gladio : Europe’s best kept secret ». Ces
agents étaient censés rester derrière les lignes ennemies en cas
d’invasion de l’Europe de l’Ouest par l’Armée rouge. Mais ce
réseau mis en place avec les meilleures intentions dégénéra dans
certains pays en instrument du terrorisme et de l’agitation
politique d’extrême droite dans le quotidien britannique The
Observer, du 7 juin 1992.
[48]
Télévision britannique. BBC Newsnight, 4 avril 1991, 22 h 30.
Reportage sur Gladio par le journaliste Peter Marshall.
[49]
Ibid.
[50]
Rubrique nécrologique du quotidien britannique The Independent du 28
avril 1997.
[51]
Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des trois
documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé le 10 juin
sur la BBC ; Gladio : The Puppeteers. Second des trois documentaires
de Francovich consacrés au Gladio, diffusé le 17 juin 1992 sur BBC2
; Gladio : The Foot Soldiers. Dernier des trois documentaires de
Francovich consécrés au Gladio, diffusé le 24 juin 1992 sur BBC2.
[52]
Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des trois
documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé le 10 juin
1992 sur BBC2.
[53]
Quotidien britannique The Times du 28 juin 1992.