Article du Dr Muriel Salmona ,psychiatre, psychothérapeute,
responsable de l’Antenne 92 de l’Institut de Victimologie, septembre
2008
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http://www.dailymotion.com/video/xp71so_la-memoire-traumatique-muriel-salmona-2012-01-16_tech
La mémoire traumatique, trouble de la
mémoire implicite émotionnelle, est une conséquence psychotraumatique
des violences les plus graves se traduisant par des réminiscences
intrusives qui envahissent la conscience (flash-back,illusions
sensorielles, cauchemars) et qui font revivre à l’identique tout ou
partie du traumatisme, avec la même détresse,la même terreur et les
mêmes réactions
physiologiques, somatiques et psychologiques que celles vécues lors des violences. Anhistorique,
non-intégrée, hypersensible, elle est déclenchée par des sensations, des affects, des situations qui
rappellent, consciemment ou non, les violences ou des éléments de leur contexte, et ce jusqu’à des
dizaines
d’années après le traumatisme. Elle est particulièrement fréquente chez
les victimes de violences sexuelles, de maltraitance dans l’enfance et
d’actes de barbarie et de tortures, et elle est à
l’origine des
symptômes psychotraumatiques les plus graves, les plus chroniques et les
plus invalidants. Très difficile à calmer, la mémoire traumatique
peut,particulièrement quand elle est parcellaire ou sensorielle, ne pas
être identifiée ni reliée au traumatisme ce qui la rend d’autant plus
dé-
stabilisante et déstructurante(impression de danger et de mort imminents, de devenir fou). Elle
s’apparente
à une bombe prête à se déclencher à tout moment, transformant la vie en
un terrain miné,nécessitant une hyper vigilance et une mise en place de
stratégies d’évitements et de contrôles
épuisants et
handicapants (évitements des situations, de sensations, de la pensée,
des émotions) ainsi que d’auto-traitement par des conduites dissociantes
qui permettent de s’anesthésier. Les mécanismes neuro-biologiques et
neuro-physiologiques qui la sous-tendent commencent depuis quelques
années à être bien connus et permettent d’élaborer des modèles théoriques qui éclairent la génèse de
nombreux symptômes psychotraumatiques mais aussi de troubles psychiques associés très souvent
présents et difficiles à comprendre chez les victimes comme les troubles de la personnalité, du
comportement
et des conduites(particulièrement les conduites à risque, les conduites
auto-agressives et les addictions). Étude clinique et recherche
fondamentale en neurosciences s’associent
comme le souhaitait Freud pour proposer un modèle explicatif cohérent utilisable pour la clinique et
le traitement.
Mécanismes à l’oeuvre :
Les
mécanismes neuro-biologiques qui sont à l’origine de cette mémoire
traumatique sont assimilables à des mécanismes de sauvegarde
exceptionnels qui, pour échapper à un risque vital intrinsèque
cardio-vasculaire et neurologique induit par une réponse émotionnelle
dépassée et non contrôlée, vont faire disjoncter le circuit de réponse
émotionnelle (comme dans un circuit électrique en
surtension qui disjoncte pour sauvegarder les appareils). Le circuit neurologique en question est le
système limbique dont les principales structures sont les amygdales, les hippocampes et le cortex
associatif; lors d’un danger les amygdales, structures cérébrales sous-corticales qui contrôlent les
réponses émotionnelles et la mémoire émotionnelle implicite sont activées et vont, avant même que
le cortex sensoriel et associatif soit informé et puisse lire et interpréter l’événement, déclencher une
réponse
émotionnelle par l’intermédiaire de la production d’adrénaline par le
système nerveux autonome (pour augmenter le rythme et le débit cardiaque
la pression artérielle, la fréquence cardiaque et stimuler la
glucogénèse) et de la production de cortisol par
l’axehypothalamo-hypohyso-surrénalien (pour stimuler la
néoglucogénèse)dont le but est de fournir à l’organisme avec de
l’oxygène et du glucose disponibles en grande quantité, les ressources
en énergie nécessaires aux organes
pour répondre au danger (affrontement ou fuite). Les amygdales donnent aussi simultanément des
informations émotionnelles au cortex associatif pour qu’il puisse en tenir compte afin d’ analyser le
danger
et de prendre des décisions et à l’hippocampe, qui est le “logiciel”
indispensable pour traiter et stocker les souvenirs et les
apprentissages et aller les rechercher ensuite. Une fois les amygdales
“allumées” elles ne peuvent se moduler ou s’éteindre que par l’action du
cortex associatif et de
son travail d’analyse et de prise de décisions, aidé en cela par la “banque de données” de souvenirs
d’apprentissage et de repères spatio-temporels que lui a fourni l’hippocampe. Lors de violences
extrêmes, incompréhensibles,confrontant à l’implacable entreprise de destruction de l’agresseur, à
sa mort imminente, sans échappatoire possible avec une impuissance totale et faisant s’effondrer
toute les certitudes acquises, le cortex et l’hippocampe sont dans l’incapacité de se représenter
l’événement, de l’intégrer et de relier à des connaissances ou des repères acquis et donc de moduler
ou d’éteindre les amygdales : la réponse émotionnelle reste maximale et les taux d’adrénaline et
de
cortisol deviennent toxiques pour l’organisme, toxicité cardiaque et
vasculaire pour l’adrénaline(risque d’infarctus du myocarde de stress et
d’hypertension maligne), toxicité neurologique
pour le cortisol (risque épileptique et de mort neuronale par apoptose pouvant aller jusqu’à 30% du
volume de certaines structures,hippocampe et cortex préfrontal), véritable “survoltage”confrontant
à un risque de mort imminente qui entraîne la mise en place d’une voie de secours exceptionnelle
qui va faire disjoncter le circuit limbique , déconnecter les amygdales et éteindre la réponse
émotionnelle grâce à la secrétion par le cerveau de drogues dissociantes endogènes, endorphines et
drogues “kétamine-like” (desantagonistes des récepteurs NMDA du système glutamatergique). Les
amygdales
sont éteintes et malgré les violences qui se poursuivent il n’y a plus
de réponse émotionnelle donc plus de risque vital, plus de souffrance
physique les endorphines produisant une analgésie. Les amygdales sont
déconnectées des hippocampes, la mémoire émotionelle ne va pas pouvoir
être
traitée et intégrée et va rester piégée : c’est la mémoire traumatique;
les amygdales sont déconnectées du cortex qui ne reçoit plus
d’information émotionnelle les stimuli traumatiques vont continuer
d’arriver au cortex sensoriel mais ils vont être traités sans
connotation émotionnelle et sans
souffrance physique ce qui va donner une impression d’étrangeté, d’irréalité, de dépersonnalisation,
d’être spectateur des événements,les drogues “kétamine-like” de plus entraînent des sensations de
transformations
corporelles et de distorsions spatio-temporelles : c’est la
dissociation péri-traumatique. Au total le risque vital lié au stress
extrême généré par les violences est évité au prix
d’une disjonction responsable d’une mémoire traumatique et de symptômes dissociatifs.
Pour éviter de déclencher la mémoire traumatique des conduites de contrôle et d’évitement vont
ensuite
être mis en place par la victime. Mais quand ces conduites ne suffisent
plus et que la mémoire traumatique “explose”entraînant détresse,
terreur et angoisse insupportables, le plussouvent
seules des conduites“d’auto-traitement” dissociantes dont la victime a fait l’expérience de leur
efficacité
vont pouvoir calmer l’état de détresse. Il s’agit alors de redéclencher
la disjonction du circuit émotionnel en augmentant le niveau de stress
pour recréer un niveau de survoltage suffisant,
par des conduites
agressives contre soi-même (tentatives de suicide, auto-mutilations) ou
contre autrui,des conduites à risque de mise en danger, des prises de
produits excitants (amphétamines) ou
en le déclenchant
directement par des drogues dissociantes (alcool, cannabis,
héroïne....). Cette disjonction provoquée va entraîner une anesthésie
affective et physique, une dissociation et calmer
l’angoisse, mais elle va aussi recharger et aggraver la mémoire traumatique et créer une dépendance
aux drogues dissociantes. Ces conduites dissociantes qui s’imposent sont à la fois paradoxales et
déroutantes, douloureuses et incompréhensibles pour les victimes et pour les professionnels qui s’en
occupent,
elles sont responsables de sentiments de culpabilité, de honte,
d’étrangeté, de dépersonnalisation et d’une vulnérabilité accrue face au
monde extérieur et plus particulièrement face aux
agresseurs, lesquels connaissent bien par expériences ces phénomènes dont ils profitent pour assurer
leur emprise sur les victimes et pour les instrumentaliser (ils sont eux-mêmes aux prises avec une
mémoire traumatique et ils utilisent les victimes pour gérer à leur place les conduites d’évitement et
pour
se dissocier grâce aux explosions de violence qu’ils leur font subir,
ce qui permet aux agresseurs de s’anesthésier, les victimes étant leur
“drogue”) .
La prise en charge va à la fois aider les victimes à sortir de leur isolement, à mieux se comprendre,
à
retrouver une dignité, à se sentir soulagées, déculpabilisées et à
reprendre espoir. Cette amélioration se fait en identifiant les
violences, en permettant aux victimes de comprendre l’origine de leur
souffrance, de faire des liens entre les violences et leurs symptômes en comprenant les mécanismes
neuro-biologiques
et psychologiques des psychotraumatismes, en “revisitant” les violences
en ouvrant toutes les portes que nous offre les manifestations de la
mémoire traumatique (véritable témoin de l’horreur indicible vécue).Il
s’agit de réunir et en replacer toutes les pièces isolées qui vont
permettre de reconstruire l’événement traumatique avec cette fois-ci un accompagnement, une
chronologie retrouvée et une élaboration de grilles de lecture, de représentations,d’interprétation et
d’intégration
qui vont être efficaces pour moduler et éteindre les réponses
émotionnelles sans le recours à la disjonction et rendre ainsi inutiles
les conduites d’évitement et les conduites dissociantes.
La mémoire traumatique “déminée”,“désamorcée” va pouvoir être réintégrée dans une mémoire
explicite
narrative et autobiographique libérant l’espace psychique, l’arrêt des
conduites dissociantes va permettre une récupération neurologique
(neurogénèse) et la récupération d’un sentiment de
cohérence et d’unité, de“retrouvaille avec soi-même”.